Des travaux récents ont montré chez la souris qu’un circuit cérébral spécifique assure un apprentissage fondé sur l’observation de congénères.
LE MONDE | | Par Florence Rosier
« Il faut être rameur avant de tenir le gouvernail, avoir gardé la proue et observé les vents avant de gouverner soi-même le navire. » L’aphorisme d’Aristophane (Les Cavaliers, 424 avant notre ère) n’a pas pris une ride. Il résume deux des principaux piliers de l’apprentissage : l’expérience et l’observation.
L’observation d’autrui, en particulier, est un des socles du développement de l’enfant. « L’enfant apprend non seulement par ses actions propres, comme l’avait démontré Jean Piaget, mais aussi par l’observation d’autrui : il imite notamment ce qu’il faut faire et ne pas faire, relève Olivier Houdé, professeur de psychologie à l’université Paris-Descartes, directeur du laboratoire CNRS de psychologie du développement et de l’éducation de l’enfant, à la Sorbonne. C’est la théorie de l’apprentissage social, émise par Albert Bandura, de l’université Stanford. » Cette capacité d’apprentissage par imitation existe chez le bébé dès la naissance, a montré le psychologue américain Andrew Meltzoff, en 1997. Mais aussi chez l’animal, de la mouche à l’oiseau en passant par le singe ou le chat.
Avantage évolutif majeur
Pourquoi cette aptitude est-elle si répandue ? C’est notamment parce qu’il est très risqué d’apprendre à reconnaître un stimulus menaçant en l’expérimentant soi-même. Car une telle épreuve – la rencontre avec un prédateur ou la consommation de nourriture toxique, par exemple – met en péril la vie ! « Cette capacité d’apprentissage par l’observation confère un avantage évolutif majeur pour la survie, assure Kay Tye, professeure de sciences cognitives au Massachusetts Institute of Technology (MIT, Cambridge, Etats-Unis). Cette aptitude innée, très conservée, serait aussi la base de comportements plus complexes comme l’empathie et l’altruisme. »
Le 3 mai, son équipe a publié une remarquable étude dans la revue Cell. Ces chercheurs sontparvenus à identifier le circuit cérébral qui permet aux souris d’apprendre un réflexe en observant leurs congénères. Fait notable, ce circuit est distinct des réseaux cérébraux mobilisés chez les souris qui apprennent ce réflexe en l’expérimentant elles-mêmes.
Les chercheurs ont d’abord appris à des souris à associer un choc électrique à un son, en administrant un petit choc électrique sur leur queue en même temps que ce son (« stimulus conditionnel »). Lorsque ensuite ces rongeurs entendaient le son, ils se figeaient sur place, même en l’absence de choc électrique – un réflexe de peur conditionné. Puis les auteurs ont montré que des souris ayant observé leurs congénères vivre cette expérience apprenaient elles aussi ce réflexe : le lendemain, elles aussi se figeaient en entendant le son conditionnel.
Que se passait-il dans le cerveau de ces animaux ? L’équipe du MIT s’est focalisée sur deux régions déjà repérées chez l’homme – elles s’activent quand nous observons autrui –, mais le lien entre ces deux régions n’était pas établi. Il s’agit du cortex cingulaire antérieur, notamment impliqué dans l’évaluation des informations sociales ; et l’amygdale, qui traite les émotions comme la peur et l’anxiété.
En réalisant des enregistrements électrophysiologiques de ces deux régions, les chercheurs ont retracé le circuit cérébral qui s’active lors de cet apprentissage par l’observation. Le cortex cingulaire antérieur de l’observatrice s’active d’abord. Ilsignale « le fait qu’une information cruciale, d’ordre social, est à extraire de cette observation, explique Kay Tye. Puis il transmet cette information à l’amygdale pour que celle-ci lui assigne une valeur prédictive ».
Cortex cingulaire antérieur
Poursuivant leurs explorations, les chercheurs ont identifié les neurones spécifiques du cortex cingulaire antérieur qui envoient ce signal à l’amygdale. Fait notable, quand ils bloquaient expérimentalement ce signal, alors qu’une souris observait un congénère expérimenter ce réflexe, celle-ci n’apprenait pas à associer le stimulus conditionnel à la peur. En revanche, quand ils bloquaient ce même signal chez un animal expérimentant ce réflexe, ils n’altéraient en rien son apprentissage ! « L’interruption de ce circuit cérébral perturbe l’apprentissage social chez les “souris observatrices”. Mais il est sans effet sur l’apprentissage comportemental chez les “souris actrices”. C’est donc bien le circuit spécifique de l’apprentissage social par observation », relève Olivier Houdé.
Depuis les travaux du psychologue américain Burrhus Frederic Skinner, au milieu du XXe siècle, on sait cependant que « c’est par les récompenses et non les punitions que l’apprentissage s’opère efficacement. L’apprentissage social ne doit pas seulement être celui de souris en cage qui ont peur, mais aussi d’enfants en liberté qui ressentent la joie d’apprendre », estime Olivier Houdé, qui vient de publier L’Ecole du cerveau. De Montessori, Freinet et Piaget aux sciences cognitives (Mardaga, 2018). De fait, l’équipe du MIT va désormais s’intéresser aux circuits cérébraux en jeu quand les souris observent un congénère bénéficier d’une récompense, et non plus subir une punition.
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