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lundi 5 mars 2018

« Le grand » de 22 ans, la fillette de 11 ans et l’âge du consentement sexuel

Quinze ans ? Treize ans ? Le projet de loi sur les violences sexistes et sexuelles, présenté fin mars, tranchera peut-être la question de l’âge du consentement. Elle a été soulevée après une affaire jugée en novembre : accusé par une enfant de 11 ans de l’avoir violée, un homme avait été acquitté.

M le magazine du Monde  | Par 

JAMES JOYCE POUR M LE MAGAZINE DU MONDE

Comme tous les jours, le dernier samedi du mois d’août 2009, Justine (son prénom a été modifié) jouait dans la cour de l’immeuble de son oncle, chez qui elle passait les grandes vacances. Comme tous les jours, il y avait des ballons et des vélos, des conversations bruyantes et des gloussements d’enfants. Les plus âgés s’apprêtaient, comme elle, à entrer en 6e.

Ce jour-là, il y avait aussi « un grand ». Le grand a remarqué Justine, il dira plus tard qu’elle lui avait plu physiquement. Il s’est d’abord approché de sa cousine : est-ce qu’elle pouvait lui transmettre un message ? Il aimerait beaucoup lui parler. Justine a dit d’accord. Ils se sont parlé quelques minutes puis le grand lui a demandé si elle connaissait un parc à proximité.

La parole de l’adulte contre celle de l’enfant


Justine a accepté de l’y conduire. Sur le moment, ça n’a inquiété personne, ni la cousine ni les copains. Le grand n’était pas un type louche mais le neveu d’un voisin. Il faisait partie de cette sorte de famille élargie constituée par tous ceux qui se croisaient dans la cour de cet immeuble de Champs-sur-Marne. Justine avait 11 ans. Le grand 22, le double de son âge.

Par beau temps, le parc de cette commune de Seine-et-Marne est plein de monde. On y pique-nique en famille, les enfants jouent sur les pelouses, on profite des longues soirées d’été. Il fait doux en cette fin d’après-midi-là, mais déjà, « malgré le soleil plus ou moins généreux, ce week-end sent comme un parfum de rentrée », regrette le bulletin météo. Arrivé au parc avec Justine, le grand l’entraîne à l’abri des regards. Jusqu’ici, leurs versions concordent. Ensuite, comme souvent dans les affaires de viols, deux paroles s’opposent.

Le grand raconte que, derrière des arbustes, Justine lui a déclaré son amour. Ils se sont embrassés, ils se sont caressés, ils ont fait l’amour sans préservatif. A un moment, elle a crié « arrête » parce qu’elle avait mal, c’était normal, c’était sa première fois. Il s’est arrêté.

Justine se souvient que, derrière les arbustes, le grand l’a empoignée, il l’a déshabillée, il l’a couchée par terre, il a posé sa main sur sa bouche pour l’empêcher de crier avant de la pénétrer sans préservatif. Elle a crié « arrête », parce qu’elle avait mal. C’était normal, elle n’avait pas envie. Il ne s’est pas arrêté.

Sa mère est effondrée, exige des explications : sa fille n’a pas 12 ans, comment peut-elle être enceinte ? Justine raconte alors…







Puis, au bout de quelques minutes, chacun est reparti de son côté. Sur le chemin du retour, Justine a croisé son oncle, furieux et inquiet de ne pas la voir rentrer à l’heure pour le dîner. Elle ne lui a pas parlé du grand, elle n’en a parlé à personne, pas même à sa cousine dont elle partageait la chambre.

Le lendemain, elle est repartie comme prévu pour Nevers, où elle vivait, les vacances touchaient à leur fin. Les mois qui ont suivi, Justine, qui venait d’entrer au collège, a mené une vie de petite fille de son âge. Personne n’a rien noté d’anormal.

C’est en janvier 2010 que sa mère commence à s’inquiéter, la poitrine et le ventre de Justine se sont arrondis. Est-ce qu’elle a fait des choses avec un garçon ? Comme Justine s’obstine à nier, sa mère exige qu’elle s’allonge sur le lit, elle va vérifier elle-même si sa fille dit vrai. L’enfant finit par passer un test de grossesse : il est positif. Elle se donne des coups sur le ventre, ça n’est pas possible, elle ne peut pas porter un enfant.

Sa mère, effondrée, prononce des mots durs, exige des explications : sa fille n’a pas 12 ans, comment peut-elle être enceinte ? Justine raconte alors l’été dernier, le grand, le parc, elle ne voulait pas. Sa mère porte plainte pour viol le 20 janvier 2010. Mais le grand n’est plus en France. Il est au Portugal. La procédure sera longue. C’est seulement en novembre 2017 que se tient le procès. On est alors en plein débat sur les violences sexuelles. L’opinion, indignée, fera de Justine le symbole d’une justice qui ne protégerait pas suffisamment ses enfants.

Procès ordinaire, verdict extraordinaire


En juillet 2012, La première fois qu’il est interrogé, le grand nie les faits. Il est dans le bureau d’un juge d’instruction portugais. Un magistrat de l’instruction et une greffière sont présents. C’est un interrogatoire tout ce qu’il y a de plus officiel, mené en portugais, langue que le grand maîtrise mieux que le français (en France, il sera toujours assisté d’un traducteur).

Il déclare qu’il n’a jamais eu de relation physique avec cette fille. « C’est une erreur de traduction, a soutenu Samir Mbarki, son avocat. En réalité, il a tout de suite reconnu la relation sexuelle mais pas la contrainte. » Pour Laure Habeneck, l’avocate de ­Justine, ce déni révèle son malaise : « Il a dit qu’il n’avait jamais eu de relation intime avec ma cliente et encore moins de “coït complet”. »

Or, ce que le grand ignore, c’est que Justine a accouché d’un petit garçon deux ans plus tôt, en mai 2010. Tiraillée entre l’envie d’être une bonne mère pour son enfant à naître et le fait qu’il soit issu d’un viol, l’adolescente a finalement choisi de le garder – les risques que lui faisait courir un accouchement à son âge auraient pu permettre l’allongement du délai légal de l’interruption volontaire de grossesse (IVG).

La justice ordonne un test ADN, qui confirme l’identité du père : c’est bien le grand. Il rentre en France en 2014 pour être interrogé à nouveau par un juge ­français : cette fois, il reconnaît avoir eu une relation sexuelle avec Justine, mais il assure qu’elle était consentie. Mis en examen, il est placé sous contrôle judiciaire.

L’adolescence de Justine s’écoule sur fond de procédures judiciaires. Entre ses 12 ans et ses 18 ans, elle raconte encore et encore la même histoire devant des enquêteurs, un juge d’instruction, plusieurs experts. « Les hommes et les femmes qui vont jusqu’au bout de ces démarches ne sont pas des menteurs patentés », observe son avocate.

« Quelle gamine de 11 ans ou même de 14 ans rêve de se faire déflorer derrière un buisson par un inconnu ? » 
Laure Habeneck, avocate de ­Justine








Le procès s’ouvre enfin en novembre 2017, devant la cour d’assises de la Seine-et-Marne, huit ans après les faits. Le grand a 30 ans. Il a refait sa vie à Marseille, il a des enfants. Justine a 20 ans. Elle est étudiante en BTS commerce. Ce n’est pas ce dont elle rêvait, elle aurait voulu être médecin mais sa scolarité a été bouleversée. Après la naissance de son fils, elle a passé du temps avec lui dans une famille d’accueil. L’enfant est toujours placé, elle espère le retrouver quand sa situation sera stabilisée.

Quand il s’ouvre, ce procès n’a rien que de très ordinaire, le public est clairsemé, les journalistes rares. C’est l’une de ces histoires de viol qui se succèdent avec une triste quotidienneté dans les tribunaux. Plus souvent en correctionnelle qu’aux assises pour des raisons diverses, qui ne sont pas toujours liées aux faits.

« Au regard des délais constatés (environ deux jours et demi d’audience en cour d’assises), il serait aujourd’hui impossible de juger tous les viols devant les cours d’assises », relève un rapport d’information du Sénat sur la protection des mineurs victimes d’infractions sexuelles, publié en février.

Dans le cas de Justine, un juge d’instruction a considéré qu’il existait des charges suffisantes justifiant la mise en accusation du grand devant la cour d’assises. Il n’a jamais été question de correctionnaliser l’affaire. « C’est le verdict, surprenant pour nous et pour l’opinion, qui en a fait un procès extraordinaire », juge maître Laure Habeneck, l’avocate de Justine.

Le 7 novembre 2017, la cour d’assises a estimé qu’aucun des éléments caractérisant le viol, à savoir l’usage de la contrainte, de la menace, de la violence ou de la surprise, n’était établi. Le grand a été acquitté. Le parquet a immédiatement fait appel.

En plein scandale Weinstein


Survenant peu après l’affaire « Sarah » – le parquet de Pontoise avait décidé de poursuivre pour « atteinte sexuelle » et non pour « viol » un adulte ayant eu une relation sexuelle avec une enfant de 11 ans (la polémique qui a suivi a finalement décidé le parquet à ouvrir une information judiciaire pour « viol ») – et en plein scandale Weinstein, ce verdict suscite une indignation unanime.

Une vingtaine d’associations appellent à manifester devant le ministère de la justice, les politiques commentent abondamment l’affaire – « à vomir », a semblé résumer la présidente de la région Ile-de-France, Valérie Pécresse. Le débat s’engage sur la délicate question de l’âge du consentement sexuel. A partir de quel âge un mineur est-il suffisamment mature pour accepter ou refuser une relation sexuelle avec un majeur : 13 ans ? 15 ans ? Peut-on vraiment fixer un âge limite ?

Interpellée sur le sujet, Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat en charge de l’égalité entre les femmes et les hommes, annonce un peu vite que le gouvernement planche sur un projet de loi portant « sur la présomption irréfragable de non-consentement des enfants ». Ce qui signifie qu’en dessous d’un certain âge, un acte de pénétration sur mineur serait automatiquement considéré par la justice comme un viol. Or, la présomption irréfragable n’existe pas en droit pénal. Mais en ce mois de novembre 2017, dans l’effet de souffle de l’affaire Weinstein, seuls les juristes semblent s’en inquiéter, tant l’acquittement du grand suscite d’indignation.

« Pour moi, cette décision reste inexplicable, s’étonne encore Dominique Laurens, la procureure de Meaux. Parmi les éléments constitutifs du viol, il y a un acte de pénétration sexuelle. Là, il existait puisque cette petite fille s’est retrouvée enceinte. Le deuxième élément, c’est qu’il y ait violence, menace, contrainte ou surprise de la part de l’auteur pour obtenir une relation sexuelle. »

Or, si les magistrats du parquet en étaient convaincus, le jury, lui, a douté. La feuille de motivation de la cour d’assises (qui énonce les raisons essentielles pour lesquelles la cour a pris sa décision) mentionne qu’« il existe un doute sur le fait que l’accusé ait eu conscience d’avoir surpris ou contraint la victime pour obtenir une relation sexuelle et qu’il ne l’a pas violentée ou menacée pour obtenir cette même relation sexuelle ».

« Je comprends le réflexe naturel qui consiste à dire : “Elle avait 11 ans, il est adulte, c’est donc un viol”, mais je n’ai plaidé que le droit » 
Samir Mbarki, avocat de la défense









Le rapport rendu par les sénateurs sur les infractions sexuelles commises contre les mineurs précise que les viols sur les enfants et les adolescents sont très rarement « commis avec violence », mais qu’ils résultent souvent d’une contrainte ou d’une menace. Depuis 2010, la contrainte morale peut résulter de la différence d’âge existant entre la victime et l’auteur des faits. Dans le cas de Justine, les faits remontent à 2009, et la loi n’est pas rétroactive.

Le grand a toujours expliqué avoir ignoré l’âge réel de l’adolescente. Non seulement Justine faisait plus âgée, a expliqué la défense, mais elle était formée, réglée depuis quelques mois, dotée d’un QI supérieur à la moyenne, et puis, « elle avait suivi des cours d’éducation sexuelle en CM2 et sa mère lui avait expliqué, quand elle a eu ses règles, ce que ça signifiait ». De plus, l’adolescente aurait dit avoir « 14-15 ans ».

Justine, elle, n’a pas varié : elle lui aurait tout de suite annoncé avoir « 11 ans et demi »« Quel adolescent répond “J’ai 14-15 ans” quand on lui demande son âge ? » a interrogé MHabeneck, qui a également insisté sur le contexte pour expliquer « la contrainte et la surprise exercée sur [sa] cliente ».

De l’avis de ses proches, de ses enseignants et des experts, Justine est à 11 ans une enfant réservée, excellente élève, soucieuse de ses études, peu expansive. Elle n’a jamais embrassé un garçon. Un portrait qui ne colle pas avec celui d’une adolescente qui ferait une déclaration d’amour à un adulte et qui au bout de dix minutes l’entreprendrait sexuellement, dans une sorte d’impulsion passionnée. Une formulation marque son avocate : « L’accusé a parlé de chaleur africaine (Justine est d’origine congolaise, lui est cap-verdien). J’ai été choquée parce que je ne vois pas ce que l’origine africaine vient expliquer ou justifier : elle avait 11 ans ! Quelle gamine de 11 ans ou même de 14 ans rêve de se faire déflorer derrière un buisson par un inconnu ? Si les choses s’étaient si bien passées que ça, comment expliquer, alors même qu’il lui avait donné son numéro avant d’aller au parc, qu’elle ne l’ait jamais contacté ? Rien, pas un texto ! »

« Les mauvaises victimes »


Elle a rappelé que Justine l’avait suivi au parc « innocemment, sans savoir ce qui l’attendait » et qu’elle lui a demandé de s’arrêter, ce que l’accusé reconnaît lui-même. Mais il jure s’être arrêté net. Comment Justine est-elle donc tombée enceinte ? Sur le terrain de la physiologie masculine, le débat pendant l’audience est apparu insoluble.

Le dernier point crucial des débats a tourné autour d’un élément aujourd’hui bien connu des professionnels de la justice et de la santé : le traumatisme. Pour la défense, « un enfant qui subit un viol, on le remarque : il ne parle pas, il ne mange pas, il pleure ». Or, Justine, jusqu’à la découverte de sa grossesse, se comporte normalement. Cela a été interprété par la défense comme un élément démontrant qu’elle n’avait pas été violée.

Personne n’a compris le verdict. Ni Justine et sa famille, ravagés par le chagrin. Ni l’opinion





Peut-être est-ce à cela, ou au fait que Justine ait suivi volontairement le grand au parc, que fait référence le rapport du Sénat, lorsqu’il suggère que l’acquittement peut être lié à « ce que les sociologues appellent de manière provocante “les mauvaises victimes” », soit celles qui ne correspondent pas à l’image idéale que se fait l’opinion publique.

L’experte citée à la barre a pourtant expliqué avec des mots très simples le mécanisme du déni mis en place face à ce type d’événement traumatisant. Elle a parlé d’incapacité à accepter une réalité psychologiquement inenvisageable :
« Pour préserver son psychisme, elle avait mis de côté cette réalité à laquelle elle a été confrontée de façon brutale à la suite de sa grossesse. »
Personne n’a compris le verdict. Ni Justine et sa famille, ravagées par le chagrin : « Les jurés, ce sont des parents aussi, quand même ? Ils voudraient qu’on prenne leur enfant dans la rue et qu’on couche avec ? », a douloureusement interrogé sa mère dans Le Parisien. Ni l’opinion. Samir Mbarki, l’avocat du grand, a reçu un flot de messages lui reprochant d’avoir défendu un « pédophile »« Je comprends le réflexe naturel qui consiste à dire : “Elle avait 11 ans, il est adulte, c’est donc un viol”, mais je n’ai plaidé que le droit. »

L’avocat rappelle que la justice protège déjà les mineurs. Juridiquement, une relation sexuelle d’un majeur avec un mineur de 15 ans constitue une infraction pénale : l’atteinte sexuelle « sans violence, contrainte, menace, ni surprise ». L’avocat poursuit : « Le viol n’était pas constitué ! Si, dès le début, le parquet avait décidé de renvoyer l’accusé devant le tribunal correctionnel, très clairement, il aurait été condamné pour atteinte sexuelle sur mineure de moins de 15 ans. C’est ce qui s’est passé à Pontoise. »

Finalement, le tribunal de Pontoise a demandé au parquet de mener une nouvelle enquête qui pourrait porter l’affaire devant les assises. Dans le cas de Justine, la cour avait aussi la possibilité de poser la question subsidiaire de l’atteinte sexuelle avant le délibéré. Pourquoi n’a-t-elle pas jugé bon de le faire ? Sans doute parce que les débats s’étant déroulés normalement, personne n’a vu venir l’acquittement.

Du côté des magistrats du parquet, il s’agit d’un choix assumé : « Nous ne l’avons pas posée puisque, pour nous, l’infraction criminelle était constituée, la petite fille avait été contrainte et surprise ! », explique la procureure de Meaux. Elle ajoute :
« Ça aurait toutefois atténué le choc de la décision pour la petite et sa famille. »

L’émoi provoqué par cette affaire a incité le gouvernement à légiférer. Fin mars, un projet de loi contre les violences sexistes et sexuelles sera présenté en conseil des ministres. Parmi les mesures prévues, la secrétaire d’Etat Marlène Schiappa propose de fixer à 15 ans l’âge de non-consentement des mineurs. Le procureur de la République, François Molins, suggère, lui, 13 ans. Tandis qu’un rapport d’information de l’Assemblée nationale recommande un seuil à 13 ans et un autre à 15.

De son côté, le Sénat souhaite laisser aux juges l’appréciation de la « présomption de contrainte », qui permettrait de qualifier de viol une relation sexuelle entre un majeur et un mineur selon deux critères : l’écart d’âge et la capacité de discernement du mineur ? Les débats promettent d’être vifs, et l’affaire Justine de rejaillir.

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