Dans les pays développés, expliquent trois contributeurs du département de psychologie de l’université d’Otago (Christchurch, Nouvelle-Zélande), les services de psychiatrie se trouvent confrontés à un paradoxe : malgré des moyens croissants pour traiter les problèmes de santé mentale, la détresse psychologique est « également en hausse. »
Pour la Nouvelle-Zélande par exemple, entre les statistiques de 2008/2009 et celles de 2015/2016, le nombre de patients concernés par une problématique psychiatrique a presque quadruplé, alors que le nombre de psychiatres et de psychologues réunis a pourtant « presque doublé de 2005 à 2015, et que des patients « plus nombreux que jamais reçoivent un traitement » (psychiatrique). Ainsi, « 13,7 % de l’ensemble des Néo-Zélandais ont déjà reçu des antidépresseurs et 3,1 % des neuroleptiques. » Les prescriptions de ces deux classes de médicaments psychotropes ont augmenté « de plus de 50 % durant les dix dernières années » en Nouvelle-Zélande, selon les statistiques officielles (du Ministry of Health Pharmaceutical Collection)[1].
Pourtant, les indicateurs en santé mentale restent au rouge dans le pays. En particulier, « le nombre d’enfants souffrant de problèmes psychiatriques a plus que doublé entre 2008 et 2013. Et en psychiatrie de l’adulte, les taux de suicide demeurent « obstinément élevés. » Et ce constat n’est pas propre à la Nouvelle-Zélande : une étude récente[2] montre une situation analogue dans quatre pays anglo-saxons : Australie, Canada, États-Unis d’Amérique et Royaume-Uni.
Détresse psychologique et symptomatologie psychiatrique croissantes malgré des médicaments efficaces
Le contraste est donc surprenant : d’un côté, les essais cliniques contrôlés confirment l’efficacité des traitements « au niveau du patient individuel », mais d’un autre côté, ces traitements « ne semblent pas fonctionner au niveau collectif », ou du moins pas assez. Serait-ce, s’interrogent les auteurs, parce que ces traitements psychotropes ne sont pas administrés dans une bonne indication, c’est-à-dire aux patients précis qui seraient le plus susceptibles d’en bénéficier ? Ou a-t-on tendance à « surdiagnostiquer » comme malades mentaux des sujets peu ou pas affectés par une vraie problématique psychiatrique (disease mongering)[3], quand d’autres, les sujets les plus atteints, resteraient au contraire en situation de sous-diagnostic, et donc non traités, ou mal, alors que les traitements s’avèrent précisément les plus efficaces pour cette catégorie de « vrais» patients ?
Il est possible aussi que la pharmacothérapie et la psychothérapie ne constituent que certains leviers d’une action efficace en psychiatrie, et que d’autres réponses (de nature extra-médicale) soient encore à développer pour combattre les maladies mentales : lutte contre les discriminations, les inégalités de revenus, le chômage... Mieux prises en compte, ces dimensions sociologiques et politiques du déterminisme de la souffrance mentale pourraient peut-être contribuer à expliquer et à corriger la stagnation (voire l’échec) de la réponse « principalement pharmacologique » apportée à la détresse psychologique et aux diverses affections mentales. Quoi qu’il en soit, cette question « centrale » en psychiatrie mérite une réflexion approfondie : pourquoi le niveau de la symptomatologie clinique ne baisse-t-il pas, « bien que les médicaments disponibles semblent efficaces et qu’un nombre croissant de sujets en reçoivent ? ».
[2] AF Jorm et coll.: Has increased provision of treatment reduced the prevalence of common mental disorders? Review of the evidence from four countries. World Psychiatry 2017(16): 90–99.
Dr Alain Cohen
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