2018, année optimiste ? Enquête sur les raisons de se réjouir
Malgré le réchauffement climatique, les populismes, le terrorisme ou la menace nucléaire, des personnalités de tous horizons nous assurent que l’humanité progresse vers un mieux-être.
« Il n’y en a pas un sur cent, et pourtant ils existent… », chantait Léo Ferré en 1969. Il parlait des anarchistes. Nous pourrions dire la même chose des optimistes aujourd’hui.
Ils sont une poignée à se faire entendre, philosophes, scientifiques, économistes, journalistes, associatifs, entrepreneurs, principalement anglo-saxons ou d’Europe du Nord, assurant que l’humanité progresse vers un mieux-être général en dépit du réchauffement climatique, de la flambée des populismes, de la persistance des violences islamistes et des menaces nucléaires que se lancent le dirigeant nord-coréen, Kim Jong-un, et le président américain Donald Trump.
En août 2017, le quotidien britannique The Guardian qualifiait de « nouveaux optimistes » ce « groupe de commentateurs de plus en plus éminents qui semblent exceptionnellement immunisés contre la morosité », avançant que l’esprit des Lumières et la raison l’emportent toujours dans l’histoire. Etes-vous l’un de ces derniers progressistes ? Voici quatre grands arguments qui pourraient vous convaincre de le devenir en 2018.
- Vous devenez optimiste... quand vous cessez de surévaluer le malheur
De nombreux biais d’interprétation exagèrent la gravité de ce qui se produit autour de nous. En décembre 2017, une étude Ipsos, Perils of Perception, menée dans trente-hui pays des cinq continents, souligne combien nous « surévaluons » le nombre de drames qui nous frappent, tant à domicile que dans les autres pays.
Ainsi, la grande majorité des sondés pensent que les meurtres augmentent sans arrêt – ainsi, 7 % seulement estiment qu’ils baissent –, alors qu’ils décroissent de 29 % en moyenne dans le monde, n’augmentant qu’au Pérou, au Mexique et au Canada. La majorité jure encore que les mœurs dérapent et que, chaque année, 20 % des adolescentes tombent enceintes – or c’est 2 %. Cette surévaluation est très forte sur tous les sujets labourés par les populistes. La plupart des testés surestiment ainsi la proportion de détenus immigrés (et donc leur délinquance) : 28 % de la population carcérale, disent-ils, quand elle est de 15 %. Pareil pour la population musulmane : en France, nous l’estimons à 31 % : elle est en réalité autour de 7 %, selon l’Institut national d’études démographiques (INED).
Max Roser, économiste à Oxford, fondateur du site Our World in Data, de l’université britannique, travaille à partir des enquêtes de perception du malheur et du bonheur réalisées dans le monde. Il constate que, dans les pays occidentaux, les gens se déclarent généralement « optimistes individuellement », tout en affichant un « pessimisme social » : les Français sont 83 % à se déclarer heureux, mais affirment que seulement 42 % le sont – une dévaluation de moitié.
Un autre jeune économiste à Oxford, Esteban Ortiz-Ospina, s’est aperçu que dans tous les pays nous avons tous tendance « à sous-évaluer le bonheur des gens des autres pays ». Les Sud-Coréens pensent, par exemple, que seulement 24 % des habitants de l’Asie du Sud-Est sont heureux, quand les premiers intéressés déclarent l’être à plus de 80 %.
Comment expliquer que nous imaginions, chacun dans notre coin, un monde plongé dans le malheur ? Pour Paul Dolan, professeur de science comportementale à la London School of Economics et auteur du best-seller prônant l’optimisme Happiness by Design (Penguin, 2015, non traduit), nous réagissons avec un point de vue non réfléchi et obsolète dès que nous parlons globalement. A quoi s’ajoute ce qu’il nomme le « biais de disponibilité » : les dernières informations disponibles, brûlantes et souvent alarmantes, influencent notre avis. Sans compter notre méconnaissance de maints sujets.
Un statisticien suédois, Hans Rosling, a mis en graphiques l’ignorance publique sur toutes sortes de thèmes – sida, âge du premier mariage, causes de mortalité, etc. Elle s’est révélée crasse, et favorisant une vision très pessimiste. Le chercheur a aussi constaté le rôle biaisé des médias : en ne s’intéressant qu’aux événements inhabituels et dramatiques, ils n’informent pas sur les tendances lourdes et rassurantes.
Avec l’outil d’analyse Gapminder, Ola Rosling, son fils, se démène pour rétablir la vérité statistique des faits et la rendre accessible à tous. Pour lui, prendre conscience des biais et du décalage entre nos perceptions défaitistes et le réel est un premier pas vers l’optimisme.
- ... quand vous découvrez que le monde va de mieux en mieux
Le 21 janvier 2017, le journaliste politique du New York Times Nicholas Kristof, deux fois prix Pulitzer, publie une liste résolument optimiste des grandes nouvelles pour l’humanité survenues en 2016. Depuis 1990, la mortalité infantile a été réduite de moitié. Des maladies endémiques reculent, tel le paludisme (– 47 % depuis 2000). L’analphabétisme touchait 44 % de la population mondiale en 1957, 85 % des adultes lisent et écrivent aujourd’hui. Or, quand les gens savent lire, leur qualification augmente, la santé s’améliore, l’économie va mieux…
D’autres données massives rassurent Nicholas Kristof. D’après la Banque mondiale, 12,7 % de la population mondiale vivait avec 1,90 dollar par jour (ou moins) en 2012. C’est une amélioration par rapport aux 37 % mesurés en 1990 et aux 44 %, presque la moitié, en 1981. « C’est une transformation stupéfiante, écrit-il, la chose la plus importante qui a lieu dans le monde aujourd’hui. » Optimiste, Kristof reprend à son compte l’idée défendue par Michael Elliott, ancien patron de l’ONG One : nous vivons un « âge des miracles ».
Deux prix Nobel d’économie, Edmund Phelps (2006) et Angus Deaton (2015), développent eux aussi des analyses encourageantes, proposant une défense critique des avantages du libéralisme et de la mondialisation. Dans La Prospérité de masse (Odile Jacob, 2017), le premier se félicite de l’enrichissement général des populations et du mieux-être général, qu’il attribue à la libération de l’esprit d’innovation et à la volonté d’épanouissement personnel héritées des Lumières.
Pour favoriser la créativité de tous, dit-il, il faut taxer les plus riches, entreprises comprises, et augmenter les petits salaires. Dans La Grande Evasion (PUF, 2016), le second rappelle que « la vie est aujourd’hui meilleure qu’à aucune autre époque de l’histoire ». S’il dénonce la montée des inégalités de revenus et l’entre-soi des plus riches depuis les années 1980, qu’il faut à tout prix combattre par des politiques de protection sociale, il n’en demeure pas moins optimiste.
De son côté, Steven Pinker, professeur de psychologie à Harvard, auteur de La Part d’ange en nous (Les Arènes, 2017), défend une thèse radicale : la violence recule partout dans le monde. Esclavage, sacrifices humains, génocides, féminicides, infanticides, pogroms, exécutions capitales, flagellations, chasse aux homosexuels, crimes d’honneur, viols, criminalité décroissent fortement.
Les guerres aussi. Depuis soixante-dix ans, une grande partie du monde vit une « longue paix » exceptionnelle : la guerre froide entre les Etats-Unis et l’Union soviétique n’a pas tourné en affrontement militaire direct ; l’Europe, en conflit perpétuel depuis le XVe siècle, est devenue une communauté politique ; et le terrorisme djihadiste reste très marginal comparé aux guerres chroniques d’hier. Pinker estime que le « processus de civilisation » de l’humanité décrit par le sociologue Norbert Elias poursuit bon an mal an son cours.
- ... quand vous savez que la situation des femmes progresse
Le monde « se féminise », affirme encore Pinker, et c’est la meilleure assurance que nous progressions vers une civilisation planétaire. Car le niveau de sécurité, d’égalité et de respect des femmes a un impact direct sur la pacification et le mieux-être d’une société, comme le confirment les travaux de l’Institut de recherche sur la paix d’Oslo (PRIO) comme de la politologue américaine Valerie M. Hudson (Sex and World Peace, Columbia University Press, 2014, collectif, non traduit). Etudiant le comportement des collectivités majoritairement masculines, Mme Hudson en a tiré ce principe : « Surplus d’hommes, déficit de paix. »
En Chine, en Inde, au Pakistan, le fait de tuer par tradition les jeunes filles à la naissance ou d’avorter les fœtus féminins provoque l’apparition de bandes de jeunes hommes, toujours source de violence. A l’inverse, là où les femmes sont aussi nombreuses que les hommes, alphabétisées et éduquées, là où elles contrôlent les naissances et défendent leurs droits, la violence recule. Comme le rappelle le Suédois Johan Norberg, historien des idées et auteur de Non, ce n’était pas mieux avant (Plon, 2017), les femmes civilisent les hommes. Or, c’est patent, l’émancipation et la marche vers l’égalité des femmes connaissent, depuis les années 1970, un essor jamais vu. Dans le monde entier, et dans tous les domaines.
Les violences et les rapports de pouvoir ? Fin 2017, on a assisté à une mobilisation sans précédent contre le harcèlement sexuel et le viol, non seulement en Occident mais aussi en Asie. L’éducation ? D’après les comparaisons Unesco 2000-2012, le taux de scolarisation des filles dans le secondaire est passé de 53 % à 80 % en Asie du Sud, de 74 % à 97 % en Asie de l’Est, de 27 % à 46 % en Afrique subsaharienne.
Le travail ? Le rapport 2017 de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur l’égalité femmes-hommes se félicite que « le taux d’activité des femmes se soit rapproché de celui des hommes » dans les trente-cinq pays affiliés. Et si le salaire médian féminin reste de 15 % inférieur à celui des hommes, l’égalité, note l’institution, est à l’agenda de tous les Etats membres.
Quant aux pays en voie de développement, ils voient l’empowerment des femmes progresser. Partout, l’essor des technologies portables décloisonne les régions isolées, facilite l’éducation, le commerce, la banque en ligne… Et quand les femmes s’en emparent, constatent l’Unesco et l’« optimiste impatiente » Fondation Gates, la vie locale change. Elles éduquent les filles et créent des entreprises, souvent basées sur le microcrédit. En 2012, 63 % ont été accordés à des femmes en Afrique, 68 % en Amérique latine, 92 % en Asie du Sud. C’est une vague de fond.
Dernier paramètre et non des moindres : la natalité. Là encore, les chiffres sont encourageants – y compris dans les pays musulmans où la résistance à l’autonomie des femmes reste forte. En Algérie, en Iran, au Maroc, en Tunisie, pays où l’alphabétisation est massive, les femmes ont pris en main leur fécondité : deux enfants en moyenne. En conséquence, elles travaillent, changent de statut et résistent mieux au traditionalisme religieux. Dans tous ces pays, des mouvements féministes – parfois laïques, parfois islamiques – gagnent en force et militent pour l’égalité citoyenne – acquise en Tunisie en 2014. Certaines intellectuelles écoutées proposent une réinterprétation des textes sacrés concernant les femmes et commencent à penser la grande réforme théologique dont l’islam a besoin.
- ... quand vous notez que le changement climatique provoque un sursaut général
Le philosophe allemand Peter Sloterdijk assure que la bombe atomique est le « vrai bouddha » de l’Occident. Sa puissance de destruction est telle qu’elle a obligé les grandes puissances à regarder en face cette effroyable possibilité : la disparition d’une grande partie de l’humanité. C’est la dissuasion nucléaire : il faut désormais que les ennemis négocient, discutent à l’ONU, pactisent.
Aujourd’hui, le changement climatique, du fait des risques irréversibles qu’il fait courir à la planète comme aux humains, est devenu le bouddha du XXIe siècle. Il nous oblige à changer radicalement nos stratégies économiques et énergétiques. A cesser d’épuiser les ressources terrestres. A reconsidérer notre relation à la biosphère. A penser écosystèmes. Long terme. Durabilité.
Tout autour de la planète, déjà, des chercheurs, des leaders politiques, des figures religieuses, des artistes célèbres, des ONG appellent à une sérieuse inflexion du libéralisme et de l’industrialisation. Le 13 novembre 2017, 15 000 scientifiques de 184 pays publient un manifeste « pour éviter une misère généralisée et une perte catastrophique de biodiversité ». Dans Le Monde du 12 décembre 2017, Emmanuel Macron invite à un « choc dans nos modes de production ». Dans son encyclique Laudato si’ du 18 juin 2015, le pape François parle de la « sauvegarde de la maison commune »… Impossible de reproduire ici toutes les déclarations solennelles récentes appelant à changer le cours de notre destin. Ni de rappeler les innombrables actions innovantes, petites et colossales, qui se mènent partout.
Quelques exemples stratégiques. Des chercheurs américains du Woods Hole Research Center (Massachusetts) ont révélé qu’un coup d’arrêt donné à la déforestation permettrait aux arbres de capter, à court terme, 100 milliards de tonnes de CO2 – moyennant quoi fondations et citoyens lancent un peu partout des opérations de reboisement et de végétalisation des villes ou sanctuarisent des forêts, comme le Canada et la Chine.
Autre exemple, les Pays-Bas ont décidé de sortir du charbon – 40 % du CO2 terrestre – et de passer aux énergies renouvelables à la suite d’une mobilisation sans précédent : 900 citoyens ont attaqué en justice le gouvernement, l’enjoignant de réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 40 % d’ici à 2020. Ils ont gagné. Les juges ont rappelé à l’Etat « son devoir de protection de l’environnement », ouvrant la voie à des actions en justice dans tous les pays, comme le préconise l’avocat néerlandais Roger Cox dans Revolution Justified (Planet Prosperity Foundation, 2012, non traduit).
Bien sûr, le fait que Donald Trump ait signé, en août 2017, le retrait des Etats-Unis des accords de Paris ne peut pas être considéré comme une bonne nouvelle. Mais qui sait ? Cela semble accélérer une prise de conscience collective mondiale. Aux Etats-Unis, le collectif America’s Pledge on Climate Change, qui regroupe 1 700 entreprises, 282 villes, 213 Eglises et congrégations, s’est ainsi engagé, le 11 novembre 2017, « à aider l’Amérique à atteindre ses objectifs climatiques de Paris ».
Ces mobilisations vont-elles se multiplier ? Arrêter la logique destructrice du capitalisme ? La grande masse des pessimistes en doute, ou se complaît dans l’attentisme. Le sociologue américain George Marshall a enquêté sur ce Syndrome de l’autruche (Actes Sud, 2017) : il l’explique par la force d’inertie de l’habitude et du confort qui nous fait vivre dans un déni du réel. Mais, comme le dit Cyril Dion, l’un des rares optimistes français, coréalisateur du documentaire Demain (2015), ces positions reculent quand « les propositions de changement sont capables de rassurer et de montrer des solutions concrètes, de faire rêver ».
Notons enfin que tous les projets entrepris aujourd’hui sont bien souvent l’œuvre des millennials, nés entre 1980 et 2000 – plus nombreux que les baby-boomeurs d’après le Pew Research Center. A 65 %, cette classe d’âge n’a pas voté pour les populistes du Brexit ni pour Donald Trump, elle a été le fer de lance des « printemps arabes »… Et elle prépare un grand remplacement générationnel.
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