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vendredi 12 janvier 2018

Décès du psychanalyste Michel de M’Uzan

Brillant analyste, spécialiste des troubles de l’identité doté d’un réel talent de narration, Michel de M’Uzan est mort le 7 janvier à Paris.

LE MONDE  | Par 

Né à Paris en 1921 et membre de la Société psychanalytique de Paris (SPP), Michel de M’Uzan est mort à Paris le 7 janvier. Il avait été le compagnon de Marthe Robert (1914-1996), célèbre critique littéraire, et restera l’un des plus brillants psychanalystes français de sa génération, auteur d’une œuvre abondante et remarquable. Il avait fort bien connu le poète Antonin Artaud et avait été l’analyste de plusieurs écrivains, parmi lesquels Georges Perec et Marie Cardinal qui avaient, l’un et l’autre, conservé de lui un souvenir inoubliable. Il avait soutenu une thèse de médecine très remarquée sur Franz Kafka (1948).

Durant les années d’après-guerre, il passait son temps à fréquenter des écrivains, des poètes et des penseurs, autant à la Bibliothèque Mazarine qu’au Café de Flore, à Paris. Avec son ami Pierre Marty (1918-1993), il fonde en 1972 un Institut de psychosomatique, ce qui lui permettra de travailler avec des patients atteints de graves maladies organiques.

Analysé par Maurice Bouvet (1911-1960), marqué en profondeur par les œuvres de Sandor Ferenczi et de Viktor Tausk, tous deux disciples de Freud, ce fils d’un père juif tunisien et d’une mère d’origine danoise sut entretenir une relation privilégiée avec les manifestations des états-limites (dissolution des frontières du moi) et les situations de dépersonnalisation (perte d’identité) ou encore avec des phénomènes aussi inquiétants que le surgissement d’une « chimère » au cœur de la relation fantasmatique d’un sujet avec autrui.


Renouveler la technique de la cure


Autant dire que parmi les post-freudiens, Michel de M’Uzan se rattachait à ce courant de la psychanalyse centrée sur l’étude des troubles de l’identité : hallucinations, délires, dédoublements de la personnalité. Il eut à cœur, en outre, de renouveler la technique de la cure en privilégiant une relation empathique avec le patient fondée sur l’exploration des territoires archaïques de l’inconscient.

Dans son dernier ouvrage, L’Inquiétude permanente (Gallimard, 2015), on retrouve les thèmes abordés dans les livres précédents (La Bouche de l’inconscient, Gallimard, 1977, et Aux confins de l’identité, Gallimard, 2005) : une approche fondée sur une manière particulière de déclencher, pendant la cure, une véritable désorganisation de la subjectivité afin de permettre au patient de se regarder comme étranger à lui-même.

Que ce soit à l’écoute de tel analysant étouffé par ses angoisses ou dans la compréhension de tel écrivain submergé par son acte créateur, Michel de M’Uzan a toujours su mettre en évidence ce qu’il y a de plus dangereux dans l’âme humaine : la destruction de soi. Quelque chose comme la folie langagière du dernier Artaud enfermé dans la maison de santé d’Ivry :
« Armé de son marteau, écrit-il, il cognait rythmiquement sur son billot de bois. C’était bien sûr d’un langage qu’il s’agissait alors, un langage (…) qui affirmait brutalement le “JE, MOI, RIEN” en majuscule dans le poème. »

Clinicien de l’extrême


Doué d’un vrai talent littéraire, de M’Uzan savait raconter des récits de cures où il n’hésitait pas à aborder des pathologies insolites. Clinicien de l’extrême, hanté lui-même par des fantômes, il savait aussi se confronter à la mort. Pour s’en convaincre, il suffit de lire ce récit de la cure d’une jeune romancière terrassée par un cancer généralisé et qui, après une brève aventure amoureuse avec son chirurgien, parvient, à l’instant même de son ultime agonie, à présenter son dernier livre devant un parterre de journalistes : « Fardée, radieuse, brillante, séductrice encore », elle réussit à « subjuguer toute l’assistance » (L’Inquiétude permanente).

C’est donc par un art exceptionnel de la narration que Michel de M’Uzan savait donner corps à cette étrangeté d’un inconscient archaïque dont il faisait l’outil majeur de sa pratique.

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