| 08.01.2018
Le médiateur national Édouard Couty a remis à Agnès Buzyn un rapport accablant sur le CHU de Grenoble, théâtre du suicide d'un neurochirurgien. Plusieurs services sont perturbés par de graves antagonismes médicaux, source de dysfonctionnements. Des solutions sont avancées.
Derrière le suicide médiatisé d'un neurochirurgien pédiatrique de 36 ans, survenu le 2 novembre 2017 au CHU de Grenoble, c'est une série de drames humains que vivent en huis clos plusieurs praticiens (PH) de cet hôpital, parfois depuis des années.
Tel est le principal enseignement du rapport du médiateur national Édouard Couty, missionné le 3 novembre par la ministre de la Santé pour établir un diagnostic sur la situation du CHU au regard des situations de souffrance au travail dans certains services. Agnès Buzyn doit rendre publiques ce lundi les recommandations de l'expert – dont le « Quotidien » a eu copie.
Comment un CHU français peut-il être le théâtre d'un nouveau suicide moins de deux ans après le décès brutal du Pr Jean-Louis Mégnien à l'Hôpital européen Georges-Pompidou (AP-HP) ? Pour comprendre, Édouard Couty a auditionné une trentaine de personnes. Son constat est sans appel : outre le service de neurochirurgie, la néphrologie et la réanimation médicale sont perturbés par l'exaspération d'antagonismes médicaux avérés….. Des cas de « maltraitance ou de souffrance au travail » ont aussi été signalés en neurologie, biologie, pharmacie, service qualité et odontologie.
Associés à des enjeux de pouvoir, deux schémas se répètent : l'affrontement générationnel et la mésentente entre un praticien déjà en poste et un nouvel arrivant. En néphrologie, une jeune PU-PH est en arrêt maladie depuis mai 2017. Motif : un « conflit » avec un autre PU-PH, nouveau chef de service « disposant d'une forte notoriété internationale » et des PH habitués à faire tourner le service. On lui a reproché « sa rigidité et son manque de dialogue tout en se comportant avec elle d'une manière qu'on pourrait qualifier de maltraitance ». Le soutien de la direction s'est traduit par un seul email.
La réanimation médicale connaît carrément aussi un « conflit aigu » entre plusieurs PU-PH, discorde qui se traduit par de la « rudesse » et de la « violence », conflit « aggravé par des rumeurs »destinées à « déstabiliser » l'un des protagonistes. Cette situation qui « rejaillit sur la prise en charge des malades », a pris « une acuité telle que le service ne pourra retrouver un fonctionnement normal qu'après les départs », écrit le médiateur.
Focalisation budgétaire
Partout, la pression économique nourrit les tensions entre médecins. Lié à des motifs personnels, le décès du jeune neurochirurgien a « fait resurgir les difficultés rencontrées lors de la mise en application de la décision de réformer l’organisation du bloc opératoire », une réforme « vécu[e] comme imposée d'en haut ».
Dans son audit du CHU, l'expert dénonce un « management très orienté vers les problématiques budgétaires », impossible à accepter par la communauté médicale. « Il manque une attention particulière aux difficultés et aux souffrances des personnels médicaux, un accompagnement et une gestion personnalisée des personnes en grande difficulté, une meilleure articulation entre médecine du travail, CME et direction », écrit le médiateur, implacable.
Ses recommandations sont claires. En néphrologie, la jeune PU-PH harcelée doit quitter le CHU avec son poste. Une mesure punitive pour le CHU déjà validée par Agnès Buzyn, qui compte renouveler l'opération à chaque fois que ce sera nécessaire (voir notre entretien exclusif page 2). En « réa », un ou deux départs et un soutien personnalisé aux victimes pourraient résoudre le conflit.
Édouard Couty réclame enfin un accompagnement des nouveaux PU-PH dans leur prise de fonction ainsi qu'un système de veille « pour percevoir les signaux d'alerte de manière à anticiper les conflits ». Ce plan interne devra se doubler d'un « solide accompagnement extérieur » pour redonner de l'air aux médecins et éviter de nouveaux drames.
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