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vendredi 15 décembre 2017

Quel est le secret des mentalistes, idoles des 15-25 ans ?

Ils lisent dans les pensées et épatent la galerie sans chapeau ni lapin. Leur truc ? Astuce, illusion, suggestions et psychologie pour créer des démonstrations déroutantes.

LE MONDE  | Par 
Viktor Vincent et Arthur dans l’émission « Pas de ça entre nous », sur TF1.
Viktor Vincent et Arthur dans l’émission « Pas de ça entre nous », sur TF1. FREDERIC BERTHET / TF1

« Ces chiffres vous disent quelque chose ? » Viktor Vincent déploie les cartes tirées par le jeune homme monté sur scène. « 24 avril 1991. C’est ma date de naissance », répond interloqué le spectateur, cobaye d’un soir. « Il n’y a pas de hasard », assène l’artiste à la grande moustache Belle Epoque, crâne chauve et yeux bleus transparents devant une audience bluffée.

A la sortie du spectacle, c’est à qui trouvera comment, à l’aide de simples dés, de jetons ou de quelques questions, l’illusionniste a pu donner l’impression de s’être immiscé dans les cerveaux pour en deviner les pensées.

Viktor Vincent n’a pourtant pas de pouvoirs surnaturels. Ni même de dons particuliers. Lui-même le dit au cours de son show Les Liens invisibles, actuellement joué à la Comédie des Champs-Elysées, à Paris. Il est mentaliste.


Depuis dix ans, l’artiste de 37 ans excelle dans cette discipline qui mêle astuce, illusion, suggestions et psychologie pour créer des démonstrations déroutantes. Une branche de la magie qui cartonne sur scène – en ce mois de décembre à Paris, une quarantaine de spectacles se réclamant du mentalisme sont à l’affiche –, sur Internet et en librairie. La télévision n’est pas en reste. En 2018, plusieurs émissions produites et animées par Arthur autour de cet art du spectacle devraient être diffusées sur TF1.

« Avec des objets basiques et un peu d’entraînement, tout le monde peut épater ses amis », assure ­Viktor Vincent, qui minimise sa mémoire phénoménale, sa virtuosité avec les chiffres et son pouvoir de concentration et d’observation hors du commun. Dans son Carnet du mentaliste, paru en novembre ­ (Larousse, 192 p., 16,95 €), ce Sherlock Holmes d’un nouveau genre explique comment faire apparaître un message sur une ardoise ou faire croire qu’on peut retenir les 1 000 premières décimales du nombre pi.


Un grand frère cool


Proposer du rêve tout en donnant les clés, du moins en partie, de ses tours de mentalisme… Comme Viktor Vincent, toute une génération d’illusionnistes, trentenaires ou à peine plus, à l’humour et au look plus proche du grand frère cool que du vieil oncle inquiétant qui roule des yeux, fascine un public jeune, biberonné aux séries télé et au Web.

Sourire éclatant, barbe de rigueur, jean et baskets, Fabien Olicard est ainsi devenu en deux ans l’idole des 15-25 ans qui se délectent de ses vidéos postées sur sa chaîne YouTube. L’enfant de La Rochelle doté d’une mémoire eidétique (permettant de se souvenir dans les moindres détails d’une photo, d’un texte, d’un paysage… après l’avoir observé quelques secondes) remplit déjà les salles quand il décide, en 2016, « par défi et pour être plus à l’aise devant une caméra » de produire une vidéo par jour pendant un an.

Dans un décor de studio d’étudiant, le you­tubeur de 35 ans donne des astuces mentales pour multiplier n’importe quel nombre en deux secondes, pour lire dans la pensée de quelqu’un en trois minutes, mais aussi pour réviser à la dernière minute. L’ambition : « Parler de trucs cool en rapport avec notre cerveau. » Ses tutos pédagos et rigolos, mis en ligne désormais au rythme de deux par semaine, font un carton : près de 700 000 abonnés aujourd’hui et une moyenne de 6 millions de vues par mois.

Parmi les aficionados, beaucoup d’ados. « C’est plus ouf que la magie traditionnelle, affirme Lili, 14 ans, lycéenne dans les Hauts-de-Seine. Tout repose sur les ressources immenses du cerveau. » Une Terra incognita fascinante pour la fan du mentaliste. « Il explique ses tours de façon ludique et pédagogique, et le mec a l’air sympa », complète Maxime, 16 ans, en classe de première à Paris, tout heureux de savoir comment désormais « gagner presque à tous les coups au shifumi [le jeu pierre, feuille ou ciseaux] » mais aussi « se motiver dès le réveil. En fait c’est assez simple quand on sait. »


La prise de tête fait recette


Le succès des mentalistes entre en résonance avec une autre nouvelle passion française : le cerveau. Sur les réseaux sociaux, on se partage à l’envi les dernières découvertes des neurosciences ; sur les smartphones, on télécharge les applis d’entraînement cérébral comme Peak ou Fit Brains Trainer.

Dans les librairies, la prise de tête fait recette. Trois ouvrages consacrés à l’organe star ont figuré dans le top 20 des ventes : Votre cerveau, de Michel Cymes et Patrice Romedenne (Stock, 282 p., 18,50 €), Libérez votre cerveau !, d’Idriss Aberkane (Robert Laffont, 288 p., 22,50 €), et Votre cerveau est extraordinaire, de Fabien Olicard (First, 160 p., 14,95 €). Ce dernier, qui travaille sur un second ouvrage, en a déjà écoulé 70 000 exemplaires.

« Le mentalisme, cet art du spectacle ancien, correspond à notre époque dématérialisée. Il explore, en supprimant les objets des magiciens, notre cortex, cette matière grise qui demeure la dernière frontière », décrypte Rémi Larrousse, actuellement sur scène au Lucernaire avec sa dernière création Songes d’un illusionniste. A 32 ans, ce diplômé de Sciences Po a longtemps jonglé entre un emploi de consultant le jour et une vie de saltimbanque la nuit. Désormais artiste à plein temps, il intervient aussi dans les grandes entreprises où il se sert de ses connaissances pour pointer les biais cognitifs qui pèsent sur la prise de décision, le changement ou encore l’innovation.

La discipline a bénéficié de la notoriété de la série Mentalist, diffusée en France depuis 2010. Suivie en moyenne par 8,5 millions de téléspectateurs sur TF1, aujourd’hui visible sur TMC, elle met en scène Patrick Jane, ex-prestidigitateur et mentaliste, qui collabore avec la police pour coincer des criminels.

« Avant la série, quand je disais que j’étais mentaliste, on me demandait si ça se soignait, s’amuse Frank Truong, 45 ans. Maintenant, tout le monde voit à peu près de quoi il retourne, même si je ne connais aucun mentaliste qui travaille avec la police. »


Une éthique est nécessaire


Dans la réalité, aucun professionnel sérieux ne revendique une légitimité pour sortir du cadre du divertissement, ne serait-ce que par précaution. « Nous sommes faillibles, poursuit cet ancien judoka de haut niveau qui, après un BTS commercial, des études de sport et de psycho, s’est autoformé, car aucune école n’existe. En spectacle, nous assurons nos arrières, le risque d’erreur est minime, d’autant que nous connaissons les techniques pour nous rattraper et détourner, le cas échéant, l’attention des spectateurs. Dans d’autres usages, la responsabilité serait trop lourde. »

Une éthique nécessaire pour éviter de basculer du côté obscur du métier, en étant considérés comme des gourous. « J’ai l’habitude de dire : quelle est la différence entre un mentaliste et un voyant ? Cent euros ! Le prix de la consultation », plaisante Frank Truong, qui met en garde contre le risque de charlatanisme.

« C’est terrible, mais le fait de nous voir sur scène renforce chez certains la conviction que nous avons des pouvoirs surnaturels », poursuit Viktor Vincent. Comme ses collègues, il est régulièrement contacté par des personnes qui lui demandent de guérir un proche, de faire revenir le mari infidèle ou de retrouver l’alliance de mariage perdue. A charge pour lui d’imaginer le truc pour faire comprendre que tout n’est qu’illusion

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