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mercredi 13 décembre 2017

Les médicaments coûtent trop cher car la recherche clinique est inefficiente

Pour baisser le coût des traitements, il faut alléger la bureaucratie des essais cliniques devenue trop complexe, explique Jean-David Zeitoun, médecin et consultant pour les industriels, dans une tribune au « Monde ».

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO  | Par 

«  Bien que les laboratoires fassent moins de recherche fondamentale, ils continuent de payer toujours plus cher les essais cliniques requis pour amener une molécule sur le marché. Pourquoi ? »
«  Bien que les laboratoires fassent moins de recherche fondamentale, ils continuent de payer toujours plus cher les essais cliniques requis pour amener une molécule sur le marché. Pourquoi ? » STÉPHANE DE SAKUTIN/AFP

Tribune. Le prix des médicaments semble être devenu un sujet perpétuel. Un article sur l’accès aux immunothérapies dans le cancer le rappelait récemment dans ces colonnes (supplément « Science & médecine » du 29 novembre). En réponse aux inquiétudes suscitées, beaucoup de commentaires ont plaidé à juste titre pour un renforcement du cadre méthodologique permettant de proportionner le prix des médicaments à leur valeur médicale. Une façon de dire aux industriels que nous sommes prêts à payer plus pour avoir plus, mais pas n’importe comment.

On a aussi évoqué la création de nouvelles règles de paiement pour les futures thérapies géniques ou cellulaires, dont le prix facial sera extrêmement élevé mais qui ne seront administrées qu’une fois par vie. Toutes ces réflexions sont nécessaires mais interviennent en aval du processus de R&D, lorsque des sommes considérables ont déjà été investies. A ce stade, chacun sait que les industriels cherchent à sécuriser leur rentabilité – qu’il est loisible à chacun de trouver excessive –, ce qui passe par un prix élevé. D’une certaine façon, on arrive trop tard.


d’énormes économies 
– de l’ordre de 80 % – sont faisables
sans pénaliser 
les objectifs scientifiques 
des essais







Les débats actuels, si légitimes qu’ils soient, risquent donc de refouler un autre sujet, plus critique, à savoir les coûts de développement. Ces coûts que supportent les industriels n’ont cessé d’augmenter depuis soixante ans. Les estimations les plus crédibles montrent une hausse annuelle moyenne de 7 % par nouvelle molécule autorisée, après ajustement sur l’inflation. Bien que les laboratoires fassent moins de recherche fondamentale, ils continuent de payer toujours plus cher les essais cliniques requis pour amener une molécule sur le marché. Pourquoi ?

La réponse courte est l’inefficience. Au début des années 1980, les laboratoires ont commencé à externaliser le processus opérationnel des essais cliniques à des entreprises spécialisées alors émergentes, les Contract Research Organizations (CRO). Leur idée était de transformer des coûts fixes en coûts variables, plus adaptés aux aléas de la recherche. Pourtant, les économies attendues ne sont jamais venues. Le coût par patient pour un essai donné a augmenté continuellement. Il est réputé compris entre 10 000 et 25 000 euros par patient mais, dans notre expérience, il dépasse banalement les 100 000 euros par patient pour les essais de cancérologie par exemple. Ces coûts, difficiles à imaginer pour le grand public, se répercutent presque directement sur le prix des médicaments.

Les causes de ces augmentations de coûts sont multiples. Certaines sont liées à la difficulté de la science elle-même, mais d’autres sont dues à ceux qui la font : en résumé, la complexité croissante des essais et l’absence de gestion s’appuyant sur les données. Il a été mesuré qu’en dix ans, pour les essais de phase III (ceux qui permettent d’obtenir une autorisation de mise sur le marché), le nombre de critères de jugement a doublé, le nombre de procédures a augmenté de 50 % et le nombre de critères d’inclusion de 60 %. Du point de vue opérationnel, le nombre de pays par essai a plus que triplé, le nombre de sites a pratiquement doublé, alors que le nombre moyen de patients recrutés a baissé de 20 %. Pis, 30 % des centres mobilisés n’incluront finalement aucun patient.


Bureaucratie de la recherche clinique


On pourrait énumérer indéfiniment les procédures redondantes ou aberrantes qui caractérisent la bureaucratie de la recherche clinique : dossiers papier surdimensionnés, e-mails imprimés, visites sur site évitables, etc. Le prétexte réglementaire n’est plus suffisant pour justifier l’inflation de formalités. Les régulateurs ont clairement exprimé leur consentement à considérer des données issues d’un processus simplifié. Du reste, cette complexité croissante n’a pas amélioré la qualité des données ni la sécurité des essais. Il a même été observé qu’elle décourageait les médecins de participer, qu’elle incitait à l’erreur voire à la fraude.

Plusieurs travaux de recherche publiés par des scientifiques sans conflit d’intérêts ont montré que d’énormes économies – de l’ordre de 80 % – étaient faisables sans pénaliser les objectifs scientifiques des essais. Une meilleure sélection des sites pour en réduire le nombre, un suivi à distance ou des opérations locales allégées font partie des mesures de bon sens applicables. La fusion des données, qui rassemblerait dossier médical et dossier de recherche, pourrait aussi prévenir certaines vérifications physiques. Les obstacles à cet indispensable choc de normalisation ne sont pas technologiques mais organisationnels.

Il est notoire que les gouvernements répugnent à engager des réformes coûteuses dont le retour budgétaire est lointain et déconnecté du retour électoral. On peut les rassurer sur ce point. La transformation du système de validation clinique des médicaments représente un investissement pratiquement dérisoire. Qui plus est, tout signal réel qui faciliterait la recherche clinique en France aurait un impact immédiat sur notre attractivité auprès des industriels. Or, on sait que c’est l’une des (nombreuses) priorités de la ministre. Il n’y a pas à attendre.

Jean-David Zeitoun est cofondateur d’Inato, une start-up technologique et d’analyse de données dans le domaine de la recherche clinique. Il exerce par ailleurs des activités de conseil pour plusieurs industriels et cabinets de conseil en lien avec la pharmacie. Il est consultant pour des fonds d’investissement et investisseur à titre personnel de plusieurs entreprises de dispositif médical, de médecine digitale ou de biotechnologie.

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