Contre cette démence neurodégénérative, une nouvelle voie est à l’étude, encore jamais explorée.
LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | | Par Florence Rosier
Une nouvelle cible vient d’être identifiée contre la maladie d’Alzheimer. Il s’agit d’une voie originale, jamais explorée jusqu’ici : elle se niche dans nos mitochondries, ces minuscules structures enfouies dans nos cellules. En forme de haricots, ces organites atypiques sont les « usines à énergie » de nos cellules. Chaque jour, ces stakhanovistes fabriquent l’équivalent de notre propre poids en molécules d’adénosine triphosphate ou ATP, ce précieux carburant cellulaire.
La découverte a été publiée le 6 décembre dans la revue Nature, par une équipe de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL). Plusieurs études avaient déjà montré, dans les neurones de patients atteints d’Alzheimer, un fonctionnement altéré des mitochondries. L’équipe de l’EPFL, dirigée par le professeur Johan Auwerx, a confirmé l’existence d’un « stress mitochondrial » associé aux processus moléculaires à l’œuvre dans la maladie d’Alzheimer. Les chercheurs ont d’abord observé ce stress dans les neurones de huit patients atteints de cette démence, comparés à huit personnes en bonne santé. Puis dans deux modèles animaux, le ver Caenorhabditis elegans et la souris, porteurs de mutations affectant la production ou la réparation d’une protéine, la bêta-amyloïde.
Sauver ce qui peut l’être
On le sait depuis le début du XXe siècle grâce à Aloïs Alzheimer : cette pathologie se caractérise par une première dégénérescence dans le cerveau. Des « plaques » s’accumulent autour des axones (les fins prolongements des neurones). Ce sont des agrégats de la protéine bêta-amyloïde. Puis une seconde dégénérescence apparaît : une autre protéine, la tau, prolifère à l’intérieur des neurones, finissant par les étouffer.
Revenons à ce stress mitochondrial. Comment se caractérise-t-il ? « La mitochondrie active un certain nombre de gènes pour réparer les éléments cellulaires défectueux », explique Laurent Mouchiroud, de l’EPFL, coauteur de ce travail. Ces gènes sont de deux types. Les premiers codent des protéines chaperonnes : leur mission est de reconfigurer correctement les protéines mal formées, c’est-à-dire mal repliées dans l’espace. En cas d’échec, une seconde catégorie de gènes prend le relais : ils sont chargés d’éliminer les mitochondries mises en défaut.
« Cette réponse au stress est a priori bénéfique. Elle vise à sauver ce qui peut l’être », poursuit Laurent Mouchiroud. Pour le démontrer, les chercheurs ont d’abord bloqué cette réponse, en inactivant un gène qui joue là un rôle de chef d’orchestre chez le ver. Résultat : « Les effets délétères de la maladie ont été encore plus marqués. »
A l’inverse, que se passe-t-il lorsque cette réponse mitochondriale au stress est renforcée ? L’équipe de Lausanne a utilisé deux molécules connues pour booster cette réponse. La première est un antibiotique, la doxycycline. Qu’elle stimule ce stress n’est pas une surprise : nos mitochondries sont des ovnis cellulaires. N’ont-elles pas pour lointain ancêtre une bactérie, qui fut avalée il y a 2 à 2,5 milliards d’années par une cellule archaïque, elle-même ancêtre de nos propres cellules ?
Stress mitochondrial
La seconde molécule capable de suractiver ce stress mitochondrial est proche de la vitamine B3 : c’est le nicotinamide riboside (NR). En utilisant l’antibiotique ou le NR, les chercheurs sont parvenus à diminuer l’accumulation des plaques amyloïdes chez ce ver-modèle de la maladie d’Alzheimer. Mais aussi à rétablir ses comportements altérés par la maladie. Pour la première fois, des éléments soutiennent le lien entre fonctionnement perturbé des mitochondries et Alzheimer.
Et chez la souris ? Bingo ! Dans le cortex des rongeurs traités par le NR, les agrégats bêta-amyloïdes diminuent. Et leurs troubles cognitifs s’améliorent. Enfin, ces deux molécules réduisent le nombre d’agrégats dans des lignées de cellules humaines en culture, porteuses de mutations affectant la bêta-amyloïde et prédisposant à la maladie d’Alzheimer.
« Pour la première fois, des éléments concordants issus de différents modèles, et de l’analyse d’échantillons cérébraux de patients, éclairent le rôle d’un fonctionnement perturbé des mitochondries dans Alzheimer. C’est un résultat prometteur, même si on est encore loin d’une application en clinique humaine », estiment Stéphane Haïk et Marie-Claude Potier, de l’Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM), à Paris. « Le potentiel thérapeutique de cette approche mérite d’être exploré », plaident les auteurs.
Cette piste aura-t-elle plus de succès que les précédentes ? Jusqu’ici, toutes les stratégies visant à neutraliser cette démence neurodégénérative, ou à en limiter les ravages sur notre cerveau, ont été mises en échec. Ce n’est pas faute d’efforts réitérés.
Selon l’OMS, la maladie d’Alzheimer affecte 35 millions de personnes dans le monde. En 2050, elle devrait en toucher plus de 100 millions. Une flambée liée en grande partie à l’allongement de la durée de vie. Plus que jamais, la maladie d’Alzheimer est un défi sanitaire et social majeur.
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