Elle porte des lunettes de soleil et une légère veste de cuir noir, assortie à ses cheveux. Elle ne cherche pas, par là, à passer incognito. Nous ne sommes pas dans un polar mais à Toulouse, au milieu d’une journée de février qui affiche un soleil précoce. D’ailleurs, ce serait plutôt tout le contraire, la jeune femme en a plus qu’assez de se sentir ni vue ni entendue.
A 30 ans, Amandine est travailleuse handicapée. Ou du moins a-t-elle été reconnue comme tel. Dans les faits, c’est plus compliqué. Tout commence par ce qu’elle appelle avec pudeur « un accident de vie », en 2013, suivi d’un mois d’hospitalisation. Un diagnostic est posé : la cyclothymie, une forme de maladie bipolaire, une affection qui ne se voit pas mais est invalidante. C’est le début d’une nouvelle vie sous traitement médicamenteux et dans les méandres de l’administration.
Bloquée dans les impasses administratives
Elle qui a travaillé pendant onze ans dans l’hôtellerie-restauration doit renoncer à son métier. « Je faisais cinquante-six heures par semaine, c’est trop intense. Il n’y a pas de postes adaptés à mon affection dans ce secteur », explique-t-elle. Elle monte un dossier auprès de la maison départementale des personnes handicapées, obtient sa reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé en novembre 2015. Puis… rien, ou si peu. Trop peu pour elle, en tout cas. Pour amorcer une reconversion, définir un nouveau projet et travailler à nouveau, Amandine doit suivre un stage dans un centre dit de « préorientation », qui est complètement saturé. Elle a assisté à une réunion d’information en mai 2016 et, près d’un an après, attend toujours d’être convoquée.
Entre-temps, elle vit de l’allocation aux adultes handicapés (AAH), 658 euros qu’on lui verse chaque mois. Et elle tourne en rond. « J’en ai tellement marre, je veux juste travailler, être indépendante, soupire-t-elle. Je ne me suis jamais retrouvée sans travail dans ma vie. » Elle a bien essayé de trouver un emploi par elle-même. Mais à Cap Emploi, un organisme spécialisé dans l’accompagnement des personnes handicapées, « on me demande de passer par la préorientation d’abord ». « J’ai aussi regardé si je pouvais faire de la garde d’enfants, ou de l’aide à domicile chez des personnes âgées, [mais] même pour ça, il faut des formations, maintenant », précise la jeune femme.
« On est quantité négligeable »
Durant la journée, « pour ne pas [se] sentir totalement bête », Amandine suit des MOOC, des cours en ligne, « mais ça ne donne pas de diplôme ». Elle se sent « inutile dans la société ». « Ce n’est pas une vie… ». La jeune femme a aussi peur de l’image qu’elle renvoie à ses deux enfants de 8 ans et 10 ans, qu’elle élève seule : « Même pour eux, ce n’est pas bon. J’ai envie de projeter l’image d’une maman active. Ils m’ont toujours connue en train de travailler. » La famille est contrainte de se serrer la ceinture : pas de vacances, pas de forfait téléphone mobile, pas d’ordinateur ni d’Internet à la maison, préférant « acheter à bouffer à [ses] enfants ».
Plus que son handicap, la situation d’inertie dans laquelle elle se sent maintenue l’exaspère. Amandine trouve que cela reflète bien le regard que porte la société française sur les handicapés. « On est quantité négligeable, regrette-t-elle. Je paye mes impôts, certes à la hauteur de mes moyens. Je vote, je suis une citoyenne comme les autres et, pourtant, je n’ai pas l’impression de compter. »
Impuissance et colère
La jeune femme, qui se décrit comme « fan de politique », a épluché les programmes et déclarations des candidats à la présidentielle. Bilan : « Il n’y en a aucun qui parle du handicap, pas un seul. Ils s’en fichent. » « Nous sommes invisibles. Peut-être qu’on fait peur aux gens parce qu’ils ont peur de finir comme nous, observe-t-elle. Surtout avec un handicap psychique. Tout de suite, on s’imagine un malade schizophrène dangereux et on nous regarde avec des gros yeux, comme si on allait tuer quelqu’un. »
Effet de l’impuissance et de la colère, sa voix tremble quand elle évoque le sujet. « Il y a un manque de volonté politique, un manque de financement », déplore-t-elle. Surtout, elle ne « comprend pas comment c’est possible » : « Le handicap, ça touche tout le monde à un moment ou un autre. La population vieillit, ça va être de plus en plus le cas. Tout le monde sait ça, non ? »
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