En Europe occidentale, la psychiatrie actuelle a progressivement émergé à partir de conceptions antiques et médiévales où les manifestations de la folie résultaient volontiers de l’action maléfique de quelque « démon. » Si cette « démonologie » du passé a laissé place au discours médical et psychologique (pour schématiser grossièrement, celui du DSM d’une part, et celui des psychanalystes d’autre part), des équivalents ou des reliquats de ces conceptions anciennes subsistent dans nos sociétés multiculturelles confrontant souvent des immigrés à un dilemme, source de conflit de loyauté : devoir à la fois se conformer aux impératifs de règles « standardisées» (les lois de la société d’accueil concernant tous les individus, sans égard pour leur propre appartenance ethnique ou religieuse), mais sans trahir pour autant ni « laisser au vestiaire », en changeant de pays ou de continent, les croyances et les coutumes de leur terre natale.
À travers une étude d’un cas exemplaire (celle d’une jeune migrante du Zimbabwe, venue vivre au Royaume-Uni où elle agresse avec un couteau de cuisine sa propre mère, durant son sommeil, sous l’influence de croyances rattachées à « la sorcellerie », en l’occurrence la conviction d’être alors « possédée par l’esprit de sa défunte grand-mère »), Transcultural Psychiatry alimente ce débat sur les rapports entre la psychiatrie moderne et d’autres systèmes de pensée traditionnels (ici, la place accordée aux « esprits » par la culture d’origine). Fait remarquable, dans l’exemple évoqué : malgré cette certitude de «possession par un esprit », les experts n’ont pas considéré officiellement l’intéressée comme une malade mentale, et les juges ont même allégé sa peine en soulignant «l’interaction entre différentes valeurs culturelles. »
Culturellement moins responsable ?
Faisant parfois écho aux réflexions actuelles du philosophe Alain Finkielkraut sur les problématiques identitaires dans son ouvrage L’identité malheureuse (qui a inspiré, par contrepied, le slogan de campagne d’Alain Juppé, ‘‘l’identité heureuse’’), ce thème de l’acculturation plane ainsi quand on s’interroge sur « la pertinence d’une défense culturelle pour contextualiser les actions criminelles commises par un individu au cours d’une période présumée de possession d’esprit. » Et les auteurs estiment que la prise en compte de cette dimension culturelle peut « aider à comprendre le rapport d’un individu à la société avec laquelle il s’identifie et à faciliter la pratique de la justice dans une société multiculturelle. »
Dr Alain Cohen
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