Depuis plus de 15 ans, les potentiels effets délétères à long terme des anesthésiques généraux (AG) chez le jeune enfant ou chez le fœtus via la femme enceinte sont un sujet d’inquiétude et de recherche. A tel point qu’aux Etats-Unis, la Food and Drug Administration (FDA) s’est fendue sur ce sujet de 3 débats publics destinés à informer le public et les médecins et à promouvoir le dialogue et la discussion bénéfices-risques entre parents et médecins.
Du cerveau du lombric à celui du jeune enfant
Les données des expérimentations in vitro et animales montrent, du lombric au primate non humain, que tous les AG, y compris les antagonistes de N-methyl-d-aspartate (NMDA) et les agonistes de l’acide gamma-aminobutyrique, ont des effets neuro-anatomiques immédiats et à long terme (1).
Mais en clinique humaine, les preuves peinent à se montrer avec des données rassurantes sur les expositions courtes et uniques aux AG. D’autre part, les effets délétères neuro-dévelopementaux à long terme observés lors des anesthésies générales longues (> 3 heures) ou itératives chez les enfants de moins de 3 ans, sont d’appréciation difficile en raison de nombreux facteurs confondants, tels l’inflammation du cerveau du prématuré ou l’hypoxémie chronique du cerveau de l’enfant porteur d’une cardiopathie congénitale cyanogène.
Du parapluie au parasol, en attendant Marisol
En décembre 2016, sans attendre les résultats de 2 études en cours dont les résultats seront connus pour l’une en 2017 (Mayo Anesthesia Safety in Kids) (2) et pour l’autre dans plusieurs années (Recognition Memory Study), la FDA a pris médecins et chercheurs de court, en émettant un avis de tempête sur le développement cérébral de l’enfant de moins de 3 ans, en cas d’anesthésies longues (> 3 heures) ou répétées, ainsi que chez la femme enceinte lors du 3ème trimestre (3).
Cet avertissement va entraîner une modification d’indication de 11 AG agissant sur les récepteurs GABA ou NMDA, y compris les gaz anesthésiques (sévoflurane) et les AG intraveineux (propofol, kétamine, barbituriques, benzodiazépines). En ouvrant ainsi, non pas un parapluie mais un vaste parasol, cette décision sème une belle panique parmi le corps médical et les parents des 1,5 million à 2 millions de jeunes enfants anesthésiés chaque année dans le monde hyper-judiciarisé américain ! Maigre consolation, seuls les morphiniques et la dexmédétomidine ne seraient pas susceptibles d’altérer le cerveau de l’animal, mais ils ne sauraient à eux seuls suffire pour un acte de longue durée.
Entre peste et choléra, mon cerveau balance
C’est ainsi que les médecins et les gestionnaires de risques du Texas Children’s Hospital(43 000 anesthésies annuelles, 13 000 chez des moins de 3 ans, 1 300 durant plus de 3 heures, deux tiers pour des cardiopathies congénitales menaçant l’existence à court terme, 1 400 anesthésies itératives, 2 000 pour des IRM) ont dû rapidement modifier leurs pratiques (4). Désormais chez les enfants de moins de 3 ans avec des anesthésies prévues d’une durée supérieure à 3 heures, ou des anesthésies itératives, les parents sont informés des conséquences réelles ou supposées sur le cerveau de leur futur petit Donald, ainsi que de la possibilité ou non de reporter l’acte après l’âge de 3 ans.
Or, à l’exception des rares actes pouvant être pratiqués sous anesthésie locorégionale (chirurgie abdominale basse ou des membres inférieurs), les chirurgies lourdes, urgentes et indispensables requièrent les AG incriminés par la FDA. D’où la crainte que la prise de position récente de la FDA ne se traduise par des pertes de chances parmi les femmes enceintes et les enfants de moins de 3 ans, bien plus préjudiciables que les hypothétiques effets sur le développement cérébral de l’enfant.
Qu’en sera t-il chez nous ? Chats échaudés craignant encore l’eau froide, quelle sera la difficile position des autorités de santé si promptes à déployer le sacro-saint principe de précaution ? Quoi qu’il en soit, voici une raison de plus pour promouvoir le dialogue entre soignants et soignés, autour de la balance des bénéfices et des risques, et surtout d’en garder trace écrite.
Dr Bernard-Alex Gaüzère
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