LE MONDE IDEES | | Par Thierry Kuhn (président Emmaüs France) et Samuel Gautier (réalisateur du documentaire A l'air libre)
Une nouvelle fois, nos prisons sont au centre des attentions politiques et médiatiques : record absolu du nombre de prisonniers, surpopulation galopante, conditions de détention inhumaines et dégradantes, baisse dramatique du nombre d’aménagements de peine, taux de suicide intra-muros alarmant… Rien que nous n’ignorions déjà. Bien davantage que des lieux privatifs de liberté, nos prisons sont, par leur essence même, des concentrés de misères affectives, sociales, sanitaires ou encore sexuelles. « École du crime » dans la bouche même de surveillants pénitentiaires exténués, institution génératrice de sourdes colères et de frustrations extrêmes, l’institution carcérale échoue lamentablement à remplir les fonctions qui lui sont assignées : protéger la société et réinsérer ceux d’entre nous qui lui sont confiés. « Si la prison était une entreprise, il y a bien longtemps qu’elle aurait fait faillite » énonçait il y a quelques années Patrick Marest, alors délégué général de l’Observatoire international des prisons (OIP). Avec un taux de récidive de plus de 60 %, la prison est en effet loin d’assurer à chacun de nous tranquillité et sécurité.
Davantage de prisons ?
Depuis quelques jours, nos représentants politiques tous bords confondus assènent qu’il nous faut davantage construire de prisons. Avec un discours aussi irresponsable que dangereux, notre personnel politique fait preuve depuis trop longtemps sur ces questions d’une immaturité coupable, les instrumentalisant éhontément à des fins politiciennes. Ces derniers souhaitent aujourd’hui engager notre société vers la voie d’un sur-emprisonnement de sa population sur laquelle même les États-Unis, face à l’échec de cette politique, font machine arrière. Outre le coût financier exorbitant de cette politique par ailleurs désastreuse en matière de cohésion sociale, nos prisons sont le trou noir de notre pensée en matière de prise en charge des auteurs d’infractions et de crimes. Pièces maîtresses d’une institution qui porte en elle une implacable logique d’exclusion achevant de marginaliser et de paupériser ceux qui, souvent en grande précarité, en rupture sociale et familiale, y sont envoyés, elles n’offrent aucune espérance d’un monde meilleur à ceux et celles qui y vivent.
Un véritable « programme d’action »
« Le pouvoir est fait, non pour servir le pouvoir des heureux mais pour la délivrance de ceux qui souffrent injustement », estimait l’abbé Pierre il y a tout juste dix ans. Il y a aujourd’hui urgence à aménager massivement les peines des personnes condamnées pour des faits n’ayant pas constitué d’atteintes aux personnes. Il est en effet une aberration de savoir aujourd’hui ces personnes emprisonnées alors même que des peines de réparation, comme le travail d’intérêt général par exemple, existent dans notre arsenal législatif. Il faut, en second lieu, refaire de la détention provisoire une exception pour des personnes que notre code pénal considère comme présumées innocentes : ces dernières représentent aujourd’hui près de 30 % de la population carcérale. La France a également besoin, comme ce qui a été mis en place dans nombre de pays européens, d’un plan massif et cohérent de développement des aménagements de peines et des alternatives à l’incarcération, mesures considérées comme les meilleurs remparts à la récidive. Non en créant de nouveaux dispositifs législatifs mais en engageant massivement la société civile dans la voie de l’accompagnement des personnes placées sous main de Justice : chaque collectivité territoriale et chaque association française qui le souhaite doit pouvoir être accompagnée et incitée financièrement à accueillir en son sein des personnes condamnées à une peine alternative à l’incarcération. Le gouvernement doit enfin s’engager massivement aux côtés des associations et fédérations qui portent des projets de création de structures d’accueil de personnes en aménagement de peine en leur proposant une activité d’utilité sociale, comme c’est aujourd’hui le cas pour Emmaüs France.
Face au défi que représente aujourd’hui la maîtrise de nos dépenses publiques et pour répondre au besoin de sécurité exprimé par nos concitoyens, voilà à quoi ressemblerait un véritable « programme d’action » adapté à la situation désastreuse qui règne aujourd’hui dans nos prisons, que le président de la commission des lois Dominique Raimbourg appelle de ses vœux et qui se doit de ne pas répéter les erreurs commises par le passé consistant à construire encore et toujours des lieux d’abandon, de relégation et de vengeance. En prenant ces quelques mesures très concrètes, le gouvernement ferait preuve d’un courage politique inédit et mettrait en quelques semaines un terme à cette honte et cette humiliation pour la République que constitue la surpopulation carcérale.
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