LE MONDE | | Par Philippe Dagen (Sète (Hérault), envoyé spécial)
Episode connu de l’histoire du journal Le Monde : le 15 mars 1968, Pierre Viansson-Ponté intitule une chronique « La France s’ennuie ». Les « événements » de mai 1968, comme on dit, commencent une semaine plus tard, le 22, à Nanterre, et prennent de l’ampleur à partir du 3 mai, date du premier affrontement entre la police et les étudiants autour de la Sorbonne. Entre ces faits s’en glisse un autre, que ne mentionne pas la chronologie politique. Le 29 avril, à 20 h 30, l’ORTF – la télévision d’Etat, la seule qui existe alors en France –, diffuse le premier épisode d’un étrange dessin animé, les Shadoks. Le créateur, Jacques Rouxel (1931-2004), est membre du « service de recherche » de l’ORTF, que dirige le compositeur Pierre Schaeffer.
Les Shadoks sont des créatures à deux pattes maigres, au corps plus ou moins sphérique et au long bec triangulaire. On dirait que ce sont des oiseaux, s’ils n’étaient incapables de voler et s’ils n’avaient des dents. Leur intelligence est nettement en dessous de la moyenne, leur langue se réduisant à quatre syllabes : « ga », « bu », « zo », « meu ». Leur maître à penser, le professeur Shadoko, est cependant l’inventeur de maximes philosophiques aux conséquences infinies. En voici deux : « Tout avantage a ses inconvénients, et réciproquement » ; « S’il n’y a pas de solution, c’est qu’il n’y a pas de problème. »
Machines célibataires
Cette dernière pourrait être de Marcel Duchamp, lequel meurt le 2 octobre de cette même année 1968 et a donc pu regarder la première série d’épisodes, au nombre de 52. Si tel est le cas, il aura soupçonné que l’activité principale des Shadoks – fabriquer des pompes et pomper tout le jour, car « Je pompe donc je suis » – n’est pas sans rapport avec les machines célibataires et inutiles qu’il avait lui-même conçues un demi-siècle auparavant.
On ne rappelle là ces quelques éléments qu’afin de permettre à celles et à ceux qui sont nés durant la longue absence des Shadoks, disparus en 1974 et très brièvement réapparus en 2000, de prendre la mesure de leur importance historique et culturelle. Une autre façon de l’éprouver est de se rendre au Musée international des arts modestes (MIAM), fondé à Sète (Hérault) par Hervé Di Rosa, où une exposition célèbre ces créatures et leurs inséparables rivaux, les Gibis.
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