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jeudi 18 août 2016

La longue reconstruction de jeunes victimes d’attentats

LE MONDE  | Par Marion Biremon

Anaële Abescat, 21 ans, et Viviana Duarte Abitbol, 20 ans, ont toutes deux perdu leur père, tués par des terroristes. Elles participent à l’atelier du projet Papillon.
Anaële Abescat, 21 ans, et Viviana Duarte Abitbol, 20 ans, ont toutes deux perdu leur père, tués par des terroristes. Elles participent à l’atelier du projet Papillon. BRUNO FERT POUR "LE MONDE"

« Je n’ai pas peur de la mort », répète Alex, 21 ans, qui a tenu à garder l’anonymat. Sa voix est grave, posée, et laisse entendre un léger accent russe. Assis à l’envers sur une chaise, la joue posée sur son avant-bras, il commente deux dessins scotchés sur le mur devant lui, ceux qu’il a créés pendant l’atelier d’art du projet Papillon, un programme de thérapie intensive pour des jeunes victimes d’actes terroristes. L’un de ses tableaux est vert, recouvert de jets de peintures de couleurs vives : « La vie », dit-il. L’autre est noir, tâché de rouge : « La mort. »Alex avait moins de 10 ans quand son école de Beslan, en Ossétie du Nord, est devenue le théâtre d’une prise d’otages meurtrière, du 1er au 3 septembre 2004.

Douze ans après, il laisse son corps exprimer ce sur quoi il n’a jamais mis de mots, par l’art, la musique et le sport, qu’il pratique à haut niveau. Le projet Papillon de l’Association française des victimes du terrorisme (AFVT) est un programme d’été de soutien, conçu sur trois ans pour un même groupe d’adolescents francophones. Sur les 22 participants, tous ne sont pas français : il y a aussi des Russes, des Israéliens, des Libanais, des Algériens, des Marocains, des Colombiens et des Roumains. Ils ont entre 15 et 24 ans, victimes d’actes terroristes. Certains les ont vécus directement, d’autres y ont perdu un proche ; mais, dans ce groupe désormais soudé, la douleur est la même.


Atelier d'art thérapie lors du projet Papillon.
Atelier d'art thérapie lors du projet Papillon. BRUNO FERT POUR "LE MONDE"

Plusieurs terrains d’expression

« Ce qu’ils ont en partage est plus fort que toutes leurs différences », explique Guillaume Denoix de Saint Marc, fondateur et directeur général de l’AFVT. Lui a perdu son père dans l’attentat du DC10 d’UTA, un vol qui rallait Brazzaville à Roissy en 1989. Il a conçu le projet Papillon pour aider les victimes « à reprendre le contrôle de leur vie, de leur histoire », pour leur apprendre « la résilience ».
Pendant deux semaines, dans un coin calme de la région parisienne tenu secret pour des raisons de sécurité, certains participants étant toujours menacés, ils prennent part à des groupes de parole chaque matin, suivis d’arts thérapeutiques l’après-midi – musique, dessin et théâtre – et d’une activité sportive. C’est la troisième et dernière année du programme, celle consacrée, après le passé et le présent, à l’avenir. « L’attentat fige la personne dans un instant, analyse Asma Guenifi, psychologue spécialisée sur le sujet et directrice du projet.Maintenant, ils arrivent à voir le futur, à imaginer une famille, à s’autoriser à être heureux. »
Aussi différentes soient-elles, les activités se complètent. Elles « donnent des outils à l’émotion » et un nouveau terrain d’expression. « La musique laisse imaginer ce qu’on ressent sans avoir à le dévoiler, à le préciser, reprend Nassim Kouti, qui anime cet atelier. Elle laisse une part d’intimité. » Dans une salle étroite, sous les poutres, le groupe essaie de garder le rythme sur les percussions. Quelques-uns s’autorisent à rajouter des notes.
En face de l’encadrant, un Algérien de 19 ans mâche une tige en bois. Il a gardé la capuche de son sweat noir. C’est lui qui donne le départ. « Ils ont beaucoup d’audace et ils ont toujours envie d’essayer », se réjouit l’art-thérapeute qui remarque qu’ils ont tous emmagasiné beaucoup de confiance depuis le début du programme en 2014. Et surtout, « ils s’aiment beaucoup ». Pendant les pauses, ils échangent de longs câlins, se réconfortent, s’encouragent, se chamaillent. En dehors du programme, ils se rendent visite à l’étranger et gardent contact sur Facebook.



Projet Papillon :  programme de thérapie collective pour jeunes jeunes (15-22 ans) victimes du terrorisme. Entretien avec la psychologue dans le jardin.
Projet Papillon :  programme de thérapie collective pour jeunes jeunes (15-22 ans) victimes du terrorisme. Entretien avec la psychologue dans le jardin. BRUNO FERT POUR "LE MONDE"
« L’adulte, c’est celui qui tue »

A la fin du projet, Asma Guenifi voit une évolution très positive dans leur deuil ; elle est convaincue qu’« on peut se remettre d’un attentat ». Un des enfants de Beslan lui avait demandé à quoi ça servait de grandir. « Ils ont une perte de confiance envers l’adulte : c’est celui qui tue, c’est celui qui détruit les vies. » Aujourd’hui, un seul des vingt-deux participants est en échec scolaire.
Certains ont déjà des projets définis. Anaële Abescat, 21 ans, et Viviana Duarte Abitbol, 20 ans, veulent travailler dans la diplomatie ou l’humanitaire. Elles font des études en relations internationales, l’une en France, l’autre en Colombie, et rêvent de « changer quelque chose ». Policier, le père de Viviana a été enlevé par les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) quand elle avait deux ans. Il a été exécuté en novembre 2011, avec trois autres otages. Pendant treize ans, Viviana lui envoyait des messages à la radio. Elle regardait ses preuves de vie – photos, vidéos, textes – « tous les jours ». « C’était la seule façon que j’avais de savoir comment il parlait, à quoi il ressemblait ». Après sa mort, la famille de Viviana a récupéré treize cahiers qu’il avait remplis de lettres et de dessins. Un cahier lui était spécialement dédié, elle ne l’a jamais lu en entier.
Anaële fait de la prévention de la radicalisation avec l’AFVT. Son père et trois autres expatriés français ont été tués par balles en Arabie saoudite en février 2007, alors qu’ils pique-niquaient ensemble. « Je me suis cachée sous une voiture. » Anaële avait alors 11 ans ; son frère Adrien en avait 14. Au procès, elle a revu les terroristes, membres d’une cellule d’Al-Qaida :
« Si on m’avait donné une arme à ce moment-là, jamais je n’aurais pu leur tirer dessus. » « J’ai lâché le chemin de la haine très tôt. C’est beaucoup plus dur, et on se détruit complètement. »

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