LE MONDE | | Par Mara Goyet
Il faut se souvenir des retrouvailles avec les élèves quelques jours après les attentats du 13 novembre 2015. Ils comptaient sur leurs professeurs pour les rassurer, ils comptaient sur l’école et ses murs pour les protéger.
Nous, nous étions désemparés : nous ne pouvions pas leur affirmer que cela ne pourrait plus jamais arriver. Nous ne pouvions rien leur jurer, à peine pouvions-nous leur expliquer. Il a fallu improviser, et ce qui m’est venu, c’est de leur faire raconter. Le moment où ils ont appris qu’à Paris, on était en train de tuer des gens rassemblés.
Le récit de petites choses s’est ainsi déployé, comme en creux de l’affolement généralisé : des pizzas commandées, des familles sur des canapés, des disputes pour la télécommande, ou alors un réveil alarmé alors qu’on était déjà couché.
Comment résister
En filigrane, en creux, sous le tragique et l’apocalyptique, il y eut alors comme une poignante évocation du bonheur, des vendredis soir sans histoires. Puis du samedi assommé, dans un Paris déserté. Dimanche, la vie qui reprend, la quête du pain, la Seine qui coule. La vie, simple et tranquille. Celle qu’on ne voit pas passer.
Ne nous trompons pas, je ne plaide pas pour un enseignement du goût des petites choses. Ni pour une forme de repli sur l’infime par temps dépressif. Je ne veux pas devenir professeur de la délicate saveur du lait imprégné de céréales chocolatées, enseignante ès mignonnettes et historiettes.
Non, simplement je songe aux paroles sages de Sancho Panza à la fin de Don Quichotte :« Hélas ! Ne mourez pas, Monsieur ; suivez plutôt mon conseil et vivez encore longtemps. Parce que la plus grande folie que puisse faire un homme dans cette vie, c’est de se laisser mourir, tout bêtement, sans que personne ne le tue, et que ce soient les mains de la mélancolie qui l’achèvent. »
Et je me demande comment résister. Comment faire une place aux raisons d’espérer qui ne trahisse pas la réalité ? En novembre 2015, en classe, des détails apparemment insignifiants ont éloigné pour un moment ces mains.
La basse continue du tragique
Les « mains de la mélancolie », en classe, ne sont jamais loin. Sans que l’enseignement de l’histoire-géographie soit une leçon de ténèbres, force est de constater que nous passons l’année à évoquer des territoires dévastés, ségrégués, menacés (qu’un écoquartier peine à consoler), des individus morts, forcément morts. Tous morts.
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