Par Julie Brafman, Envoyée spéciale à Saint-Omer — 23 juin 2016
Pourquoi cette femme créditée d'un QI de 135 points, a-t-elle livré sa fille à la mer assassine sur la plage de Berck après avoir méticuleusement préparé son acte en vérifiant le coefficient des marées et en achetant ses billets de train.
- Fabienne Kabou entre psychose et sorcellerie
«En une heure et demie d’interrogatoire, l’affaire était pliée, explique à la barre Hervé Vlamynck, juge d’instruction, en faisant référence à sa première rencontre avec Fabienne Kabou. Je sais que c’est elle, je comprends que le crime est prémédité. Mais il faut bien expliquer le pourquoi». Cela fait quatre jours que ce «pourquoi» hante la cour d’assises du Nord, à Saint-Omer, que les jurés tentent de cerner la personnalité singulière de cette femme de 39 ans qui, le 19 novembre 2013, a noyé son enfant de 15 mois.
L’accusée a livré un récit chronologique et méticuleux de son crime : après avoir vérifié les coefficients de marée et acheté des billets de train, elle a quitté Paris avec sa fille, Adélaïde, pour Berck-sur-Mer. Le soir, sous l’œil de la Lune «comme un projecteur», elle a «allaité Ada», l’a «bercée» puis l’a déposée sur la plage déserte et s’est «enfuie», laissant œuvrer la mer assassine. En ce qui concerne la matérialité des faits, c’est donc «plié», comme le souligne le juge. Mais «pourquoi» ?
Ses tantes, des fées maléfiques
Interrogée à plusieurs reprises depuis lundi, Fabienne Kabou ne «sait pas», elle ne se reconnaît pas dans le miroir de son acte. Elle a soutenu avoir été «poussée», avoir «agi», «en conflit», elle «n’arrivait pas à dire stop», «avait comme le vent dans le dos», «le sentiment d’être portée». Après avoir évoqué la «traque» de ses tantes, sortes de fées maléfiques penchées sur le berceau de sa fille, ses «hallucinations» avec «ses pieds martelés» ou les«murs qui tonnent», les marabouts et voyants qui n’ont pas su l’aider, Fabienne Kabou ne voit finalement qu’une seule explication à «l’horreur» de son geste : la sorcellerie.
Pour bien comprendre l’irruption de l’irrationnel dans ce dossier, il faut revenir au 23 décembre 2013. La scène se déroule dans le cabinet d’Hervé Vlamynck, au cours d’un interrogatoire fleuve de près de douze heures. A la barre, le juge décrit une sorte de fascination pour Fabienne Kabou, «ce personnage inhabituel» qui s’exprime avec un vocabulaire fourni, une syntaxe et une grammaire irréprochables. «Elle me dit : “Pour vous expliquer mon geste, il faudrait que vous élargissiez votre entendement”. Je lui demande alors si c’est culturel. Je la sens gênée et je suspends l’interrogatoire quelques minutes.» A son retour, Fabienne Kabou parlera de «sorcellerie», terme qu’elle substitue à ceux de «contrainte» ou de «mécanique»employés jusqu’alors. «Pourquoi orientez-vous l’affaire vers la sorcellerie ? J’ai du mal à trouver la racine de votre questionnement culturel», interpelle Luc Frémiot, l’avocat général, soutenant que le magistrat a ainsi suggéré une stratégie de défense à l’accusée. Fabienne Kabou a-t-elle opportunément saisi cette perche ? Ou est-elle persuadée d’être sous la coupe d’esprits malfaisants ?
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