| 14.03.2016
Le Bureau d'enquêtes d'analyses (BEA) a rendu public ce 13 mars son rapport final sur l'accident de la Germanwings, survenu le 24 mars 2015 dans les Alpes françaises. Les enquêteurs y confirment le scénario d'une « action volontaire et planifiée du copilote Andreas Lubitz, qui a décidé de se suicider lorsqu'il était seul dans le poste de pilotage ».
Le BEA revient dans ses recommandations sur le secret médical, déjà mis en cause après le drame. « Des renseignements personnels devraient être divulgués dans l'intérêt public, même sans le consentement du patient, si les avantages de cette divulgation pour un individu ou la société l'emportent sur l'intérêt du public et du patient au maintien confidentiel de ces informations », lit-on. Le BEA invite l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et la commission européenne à aider les États membres à définir des obligations, pour les professionnels de santé, d'informer les autorités compétentes en cas de danger pour la sécurité publique, sans courir de risque juridique. Il invite dès aujourd'hui l'Ordre des médecins allemands à publier des lignes directrices rappelant la possibilité de rompre le secret médical en cas de risque pour la sécurité du public ou de danger imminent et à définir ces notions.
Nouvelles dérogations au secret médical : non, dit l'Ordre
« Il n'est pas souhaitable de créer de nouvelles dérogations au secret médical ; cela signerait la fin de ce pilier de notre déontologie, et la fin de la confiance entre le patient et le médecin », réagit le Dr Jean-Marie Faroudja, président de la section éthique et déontologie de l'Ordre des médecins. La loi prévoit déjà des dérogations au secret médical (obligatoires pour les déclarations de naissance et de décès, les accidents du travail, les hospitalisations sous contraintes, le dopage, pour les victimes de l'amiante, etc, et possibles en cas de sévices à enfants ou à personnes vulnérables, ou face à un détenteur d'une arme à feux). « À titre exceptionnel, en cas de risque grave et imminent de mise en danger d'autrui qu'il ne peut prévenir autrement, le médecin peut décider en son âme et conscience de s'affranchir du secret », explique le Dr Faroudja. Le médecin devra en rendre compte devant les juridictions compétentes, mais il pourra invoquer l'état de nécessité absolue, poursuit l'élu ordinal.
Le médecin traitant n'est pas non plus censé communiquer directement avec le médecin du travail, rappelle le Dr Faroudja.
S'il partage la position de l'Ordre des médecins sur l'intangibilité du secret médical, le Dr Patrick Légeron, psychiatre et fondateur du cabinet Stimulus, appelle en revanche à une meilleure collaboration entre les psychiatres et la médecine du travail.
Le Pr Henri Marotte, directeur de la capacité de médecine aérospatiale de Paris, plaide pour l'ouverture d'une réflexion sur les dérogations au secret médical. « Il faut des passerelles entre le cabinet médical et les ressources humaines. Mais comment ? », s'interroge-t-il, conscient de l'importance de la confiance entre patient et médecin, a fortiori dans le milieu des pilotes où règne la loi du silence.
L'évaluation de l'incapacité mentale en question
Le BEA consacre tout un volet de ses recommandations à l'évaluation médicale de pilotes présentant des problèmes de santé mentale. « L'incapacité mentale ne doit pas être traitée de la même manière que l'incapacité physique, et un objectif plus strict en ce qui concerne la détection de troubles mentaux potentiellement dangereux devrait être visé », lit-on. L'incapacité mentale met en effet en échec la sécurité que représenterait la présence de 2 pilotes dans le cockpit. Si un copilote peut seconder un pair en incapacité physique, il se révèle impuissant et exclu en cas de projet suicidaire.
Le BEA demande donc des évaluations régulières de la santé mentale des pilotes avec des antécédents connus de maladie mentale, et globalement, une redéfinition des conditions de suivi de leur aptitude à voler.
Des médecins à mieux former à la santé mentale
Tout en regrettant la tonalité stigmatisante du rapport du BEA à l'égard de la maladie mentale, les médecins ne nient pas la spécificité de son repérage et de sa prévention. « Il n'y a pas de marqueur biologique de la dépression. Il y a beaucoup de déclaratif dans les troubles psychiques », souligne le Dr Légeron.
Pour autant, la traiter comme une maladie à part et multiplier les expertises psychiatriques et psychologiques seraient un écueil, estiment les médecins. « On voit aussi des pilotes qui volent sans faire cas de leur stent coronarien », explique le Pr Marotte. « Lors de leur visite au centre d'expertise, on n'envoie pas tous les pilotes chez le cardiologue ou le gynécologue. Il n'est pas non plus question d'envoyer tout le monde chez le psychiatre », poursuit le spécialiste de médecine aérospatiale.
En revanche, les médecins doivent être davantage formés au repérage de la maladie mentale, corroborent les experts, alors que le BEA suggère de mieux former les examinateurs aéromédicaux (AME). « Les facultés de médecine enseignent trop peu la psychiatrie, l'ophtalmologie, et l'ORL, que nous devons apprendre aux candidats à la capacité », assure le Pr Marotte. Un constat que ne dément pas le psychiatre Légeron : « L'OMS évalue à 25 % la prévalence des troubles mentaux dans la population. Or la psychiatrie est très mal enseignée. »
Les autres recommandations du BEA font davantage consensus : le développement de l'épidémiologie des incapacités en vol en ciblant les problèmes psychiques, la mise en place de mécanismes pour atténuer les conséquences de la perte de la licence, la définition des modalités permettant aux pilotes d'être déclaré aptes, malgré une prise d'antidépresseurs, ou encore la promotion de programme de soutien par les pairs.
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