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vendredi 6 février 2015

Rire du harcèlement pour le vaincre

LE MONDE |  | Par 


À 14 ans, Corinne Berthaud commence à travailler comme serveuse les week-ends dans un restaurant chic. Sa mère récupère le salaire à la fin de la journée. À 19 ans, la jeune fille abandonne ses études. Elle cumule les petits boulots puis décide quelques années plus tard de passer son bac. 

Elle l’obtient, enchaîne avec un BTS, reprend sa première entreprise en redressement judiciaire et se retrouve à diriger des équipes.

À 34 ans, elle fait partir des 6 % des femmes à siéger au comité de direction d’une entreprise française cotée au CAC 40. Mais Cette Comédie qu’on appelle le travail n’est pas l’histoire d’une ascension fulgurante. Plutôt un portrait sans concessions du monde du travail dans sa facette la plus sombre : les risques psychosociaux.

Le récit, écrit à la première personne, est très incarné : celle qui s’est désormais spécialisée dans la prévention des risques psychosociaux en entreprise a enduré les ravages d’un management hostile sur sa propre peau. Après une fusion avec une autre société, son supérieur direct peut prétendre à un seul poste : le sien. Cette femme active et mère de famille est alors confrontée à du harcèlement moral, qui sera reconnu après des années de procédure par la Cour de cassation.

« J’ai transformé cet épisode en une chance, une occasion de faire comprendre aux autres salariés ce que j’avais identifié : les risques psychosociaux en entreprise et leurs conséquences, les stress, les violences internes et externes, l’épuisement, la mise en danger et parfois le suicide ». En plus du témoignage poignant de son auteur, le livre est enrichi par les récits de salariés qui rencontrent des difficultés dans leur environnement professionnel et que Mme Berthaud accompagne depuis quelques années.


3 millions de personnes exposées au burn-out


Comme Louis, qui se sent physiquement dominé par son manager : ce dernier se poste derrière son bureau et reste debout, silencieux, les yeux rivés sur son ordinateur. Parfois, il pose même son café sur le bureau de son subordonné avant de s’adosser au mur, comme pour marquer son territoire. Sous les conseils de Corinne Berthaud, Louis décide de réagir. Un matin, il s’empare du fameux café et remercie chaleureusement son chef, avant de porter le gobelet à ses lèvres. « Le manager a bredouillé des excuses et n’a plus jamais recommencé ».

Mais tout ne se résoud pas toujours aussi facilement : plus de 3 millions de personnes sont aujourd’hui exposées au burn-out. Le stress au travail représente 4 % du produit intérieur brut (PIB) et coûte 60 milliards d’euros à la Sécurité sociale, rappelle l’auteur, qui réclame « qu’une politique de prévention soit enfin mise en œuvre de manière collective dans toutes les entreprises, et que les méthodes de management soient repensées. Transformons la crise économique, qui est aussi une crise de sens, en moyen pour changer en profondeur ce qui ne fonctionne plus ».

Afin de réinsérer un peu d’humain dans les bureaux, Corinne Berthaud sélectionne des troupes de théâtre qui créent des pièces en fonction du ressenti des salariés et des problèmes recensés. Objectif : rompre l’isolement des salariés, faire rire les collaborateurs. Car c’est avant tout à eux que s’adresse cet ouvrage : « s’il est impératif d’être lucide, je voudrais aussi que ce livre soit perçu comme une lueur d’espoir dans le marasme ambiant. Si je parviens à vous faire entendre que vous êtes le premier levier pour lutter contre cette souffrance galopante en entreprise et pour contribuer à initier le changement à la fois pour vous et pour vos collègues, alors j’aurai gagné mon pari. »

Cette comédie qu’on appelle travail. Retrouver sa dignité au boulot, de Corinne Berthaud (éditions Calmann-Lévy, 240 pages, 17 euros).


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