Dans les questions relatives la fin de vie, on distingue désormais deux problèmes très différents : le suicide assisté et l'euthanasie.
L'euthanasie est « la situation où un tiers met intentionnellement fin à la vie d'une personne à sa demande, afin de faire cesser une situation qu'elle juge insupportable » (Rapport de l'Observatoire de fin de vie, p. 153). Elle soulève de nombreuses questions : comment déterminer la volonté de la personne ? Qui doit prendre la décision ? Selon quels critères ? Dans quelles conditions ? A l'évidence, la loi Leonetti est insuffisante pour y répondre et son auteur lui-même reconnaît qu'elle doit être réformée.
Le suicide assisté en revanche concerne des personnes lucides et capables qui décident, en raison d'un pronostic médical prédisant une issue fatale et une dégradation massive à court terme, de devancer ce processus. Elles souhaitent mettre fin elles-mêmes à leur vie avant de devenir impotentes ou inconscientes. Des documentaires comme Le choix de Jean, des fictions commeQuelques jours de printemps illustrent cette situation. La personne se donne elle-même la mort en buvant une potion létale ; le médecin se borne à fournir le produit, mais il peut être absent au moment du geste ultime. En France ceux – essentiellement des médecins – qui ont fourni à ces personnes les substances létales ont été poursuivis sur la base de deux articles du Code pénal.
En premier lieu, il s'agit de la loi du 31 décembre 1987, transcrite dans l'article 223-13 du Code pénal de 1994, stipulant que « le fait de provoquer au suicide d'autrui est puni de trois ans d'emprisonnement et de 300 000 francs d'amende ». Comme on le sait, le suicide n'est plus un délit depuis la Révolution française. Une loi qui pénalise la provocation à un acte qui n'est pas un délit est-elle constitutionnelle ? On peut en douter. La provocation au meurtre, au vol, à la haine raciale est un délit parce que le meurtre, le vol, la haine raciale sont des délits ou des crimes. En revanche, inciter à manger du chocolat, à boire de la bière ou à faire du saut à l'élastique ne saurait être punissable. Même si ces pratiques sont dangereuses ou mauvaises pour la santé, c'est une affaire qui relève de l'information du public et non des tribunaux.
On objectera que la publicité pour l'alcool et le tabac est interdite, alors que ces substances sont légales. Mais ce qui est interdit, c'est la publicité et elle seule. En revanche, les cafetiers et les buralistes ne sont pas poursuivis alors qu'ils fournissent des produits dont la nocivité est pourtant largement reconnue.
La propagande ou la publicité pour le suicide peut donc être sanctionnée si l'on considère que comme le tabac et l'alcool, le suicide est un mal social qu'il faut combattre ; mais cette interdiction ne saurait s'étendre à la simple explication ou fourniture des moyens de l'accomplir. C'est ce que Robert Badinter a rappelé devant la commission Leonetti en 2008 : « Le suicide n'est ni un crime ni un délit. On ne saurait poursuivre pour complicité au suicide ». Un autre article du Code pénal est également utilisé pour poursuivre l'aide au suicide. Il s'agit de l'article 223-6, qui punit la non assistance à personne en danger :« Quiconque s'abstient volontairement de porter à une personne en péril l'assistance que, sans risque pour lui ou les tiers, il pouvait lui prêter (…) sera puni de 5 ans d'emprisonnement et 75.000 euros d'amende ».
Un arrêt de la 11ème Chambre de la Cour d'appel de Paris (28 novembre 1986) affirme explicitement l'applicabilité de cet article à l'assistance au suicide : « La volonté d'une personne de mettre fin à ses jours, et donc de se mettre elle-même dans une situation de péril, ne dispense pas de l'obligation de porter secours, devoir d'humanité lié à la protection de la vie d'autrui ».
Cette incrimination peut se comprendre dans le cas de mineurs ou de malades mentaux (dépressifs, etc.) : la maladie ou l'immaturité constituent des facteurs extérieurs susceptibles d'altérer le discernement ou d'aliéner la volonté. La notion de « péril » peut s'appliquer en pareils cas : comme le feu ou l'eau, une pulsion suicidaire pathologique submerge celui qui en est victime, et ne pas lui porter secours est punissable.
En revanche, lorsqu'une personne majeure jouissant de toutes ses facultés décide en toute lucidité de mettre fin à sa vie en raison d'une maladie incurable et mortelle, peut-on encore parler de « péril » ? Si cette notion implique l'idée d'une menace objective (comme le feu, l'eau, la maladie mentale, l'immaturité) il paraît difficile d'en faire la preuve dans ce cas.
En outre, le texte de loi parle de « péril » en général et non de danger de mort. Or la personne lucide qui décide librement de se donner la mort le fait pour échapper à des périls qui sont à ses yeux bien plus grands que la mort : la souffrance, la déchéance, la dépendance. On est fondé à considérer que celui qui l'aide dans son choix, loin de s'abstenir de lui porter assistance, remplit pleinement au contraire les exigences de l'article 223-6.
On peut exiger de celui qui aide une personne à mettre fin à ses jours qu'il s'assure préalablement que celle-ci est majeure, et qu'elle jouit de toutes ses facultés. Cela permettrait de poursuivre ceux qui fournissent une telle aide par Internet, sans connaître personnellement la personne qu'ils conseillent. On pourrait exiger non seulement un contact personnel, mais la preuve que la santé mentale de la personne a été vérifiée, par exemple en recourant à l'attestation d'un psychiatre. C'est ce que font des associations comme Exit, qui n'accordent leur assistance qu'après toute une série de vérifications et selon des conditions très strictes : caractère volontaire, lucide et répété de la démarche, maladie incurable avec pronostic fatal à brève échéance, souffrances physiques ou psychiques importantes.
Si ces vérifications ont été opérées, on ne voit pas sur quelles bases juridiques l'article 223-6 pourrait être invoqué. Il suffirait qu'une QPC jurisprudentielle permette au Conseil constitutionnel d'invalider l'interprétation de la Cour d'appel de Paris.
Cette QPC pourrait s'appuyer sur la Déclaration des droits de l'homme, qui fait partie du « bloc de constitutionnalité » de la République française. Elle affirme dans son article 4 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi.» Le suicide n'étant pas considéré par la loi comme un délit, cela signifie, en vertu de cet article 4 de la DDH, qu'il fait partie des « droits naturels de chaque homme » (puisque la liberté de chacun inclut « tout ce qui ne nuit pas à autrui »).
En aidant quelqu'un à exercer ce qui est reconnu comme un « droit naturel », on ne saurait être poursuivi au titre d'un article du code pénal qui ne concerne que les nuisances constituant des atteintes aux droits naturels d'autrui, comme c'est le cas pour un danger qui le menace alors qu'il souhaite rester en vie. C'est ce qu'a admis la Conférence citoyenne dans son rapport du 16 décembre 2013 : elle reconnaissait l'assistance au suicide comme« un droit légitime du patient en fin de vie ou souffrant d'une pathologie irréversible, reposant avant tout sur son consentement éclairé et sa pleine conscience ».
La jurisprudence créée par l'arrêt du 28 novembre 1986, étant contraire à l'article 4 de la DDH qui fait partie du « bloc de constitutionnalité », pourrait et devrait donc être invalidée par le Conseil constitutionnel. Il n'est nul besoin de légiférer sur la question. Une moitié du problème serait ainsi résolue sans avoir besoin de voter une nouvelle loi. Cela permettrait au législateur de se concentrer sur l'autre moitié, qui seule soulève de réelles difficultés : la question de l'euthanasie.
François Galichet est aussi l'auteur de Mourir délibérément, pour une sortie réfléchie de la vie, (Presses Universitaires de Strasbourg, 2014, 20 euros)
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