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mardi 24 juin 2014

Pénuries de médicaments : la psychiatrie aussi

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | Par 

La commercialisation de produits efficaces est souvent arrêtée pour des questions de rentabilité.

« Souffrant d’une dépression au long cours, ma patiente prenait du Tofranil, un anti-dépresseur. Cette femme de 50 ans répondait bien à cette molécule, dosée à 10 mg », explique son médecin psychiatre, qui souhaite garder l’anonymat. Puis le laboratoire CSP a connu des difficultés d’approvisionnement, en raison d’un transfert de site de production. « J’ai cherché des alternatives, je n’ai trouvé aucun équivalent. Ma patiente ne supportait pas d’autres traitements, raconte la praticienne. Très attachée à ce médicament, elle a pu l’acheter par Internet. »
« Les ruptures d'approvisionnement représentent une préoccupation importante, et cela s’aggrave, toutes spécialités médicales confondues », constate Isabelle Adenot, présidente du Conseil national de l'ordre des pharmaciens. Au 11 juin, « nous avons comptabilisé 695 médicaments manquants au total », depuis fin octobre 2013, déclare Isabelle Adenot, se fondant sur les données provenant de quelques centaines d’officines et de pharmacies hospitalières.
« LA FRANCE NE FAIT PAS EXCEPTION »
En 2013, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a reçu 453 signalements de ruptures ou risques de ruptures d’approvisionnement, soit 8 à 9 par semaine. « Nous avons en permanence 200 dossiers à gérer. C’est quatre fois plus qu’il y a cinq ans. La France ne fait pas exception », estime Patrick Maison, directeur de la surveillance de l'Agence. Ces dossiers nécessitent une gestion approfondie avec la mise en place de mesures particulières (importation d’une spécialité étrangère, restrictions d’utilisation, contingentement), précise l’ANSM.
« Ces ruptures d’approvisionnement se répètent de plus en plus en psychiatrie même si les hôpitaux sont rarement touchés », souligne Jean-Louis Roche, pharmacien à l’Eau vive, hôpital de psychiatrie générale à Paris. Elles sont plus criantes en ville.
En ce moment, il manque dans les pharmacies l’anxiolytique Xanax 0,25, certains dosages de l’anxiolytique Atarax, les antidépresseurs Zoloft 25 et Clomipramine, etc. Sur la totalité des produits manquant en officine, la classe thérapeutique « système nerveux » est la première représentée, avec 21,4 % des pénuries, dont la moitié concerne les médicaments psychoanaleptiques (psychotropes, antidépresseurs…).
LES PATIENTS PERTURBÉS
Pour pallier l’indisponibilité de l’antidépresseur Marsilid (Alkopharm), l’un des plus anciens, l’ANSM a demandé une autorisation temporaire d'utilisation (ATU) pour un traitement alternatif équivalent, la spécialité Nardil. Le réseau Pharmaciens information communication (PIC) a été sollicité par des patients pour réintroduire le Marsilid. De même, « nous souhaitons militer auprès des autorités pour réintroduire la forme comprimé de Semap (Janssen), seul neuroleptique permettant une prise orale hebdomadaire », explique Claire Pollet, présidente du réseau PIC et pharmacien à l’établissement public de santé Mentale EPSM Lille-Métropole (Armentières).
« C'est chronophage pour les médecins et les pharmaciens, et cela perturbe les patients », souligne Isabelle Adenot. Le patient refuse souvent le traitement alternatif, car il peut être très attaché à son médicament. Dans certains cas, il peut y avoir des décompensations, pouvant même entraîner des hospitalisations.« Les effets aussi bien physiologiques que psychologiques sont différents d’un produit à l'autre. En arrêter certains peut se révéler compliqué, car ils ont leur propre mécanisme d'action. Dans les troubles psychiques, tout changement peut être perturbant, même chez des patients semblant stabilisés », souligne le professeur Antoine Pelissolo, chef de service du pôle de psychiatrie à l’hôpital Albert-Chenevier, et chercheur à l’Inserm. Ainsi, les génériques ne conviennent-ils pas toujours aux personnes présentant des troubles mentaux. « Les patients ont eu du mal à accepter le générique de l'Equanil, molécule auparavant utilisée comme aide au sevrage, car le comprimé était de couleur blanche, alors que l'Equanil était bleu », explique Claire Pollet.
UN PROBLÈME POUR L’INDUSTRIE
« En psychiatrie, il est rare qu'un médicament soit sans alternative thérapeutique. Néanmoins, chaque patient a son produit avec lequel il est stabilisé. Il peut donc y avoir de vraies différences de ressenti lors d'un changement de médicament au sein d'une même grande classe. Ces modifications sont souventlégitimement mal perçues par les patients, ainsi que par les médecins », explique Florent Perin-Dureau, responsable du pôle médicaments du système nerveux central de l'ANSM.
A l’hôpital comme en ville, toutes les classes de médicaments sont concernées. « La classe des médicaments psychiatriques n'est pas plus sujette à des problèmes de rupture que les autres », explique Patrick Maison. La pénurie est aussi un problème pour l’industrie. L’une des raisons pointées par le LEEM (Les Entreprises du médicament) est que 60 % à 80 % des matières premières sont fabriquées hors de l'Union européenne, contre 20 % il y a trente ans.

Autres explications : l’outil de production, l'augmentation des ventes… « La raison essentielle est d'ordre financier », assure le professeur Alain Astier, responsable du département pharmacie à l’hôpital Henri-Mondor de Créteil, et membre de l’académie de pharmacie« Toute la chaîne de production et de distribution des médicaments fonctionne sur des stocks de plus en plus tendus, pour des raisons économiques », explique Isabelle Adenot. « Ce sont souvent des arrêts de commercialisation pour des produits qui ne sont plus rentables, mais qui peuvent être de vieux médicaments efficaces dans certains cas, notamment pour des patients psychotiques », explique le docteur Marcel Rockwell, psychiatre-psychanalyste libéral, qui pourtant prescrit peu de médicaments. Et de questionner : « Ne pourrait-on pas raisonner en termes sanitaires dans le domaine de la santé ? » 

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