Par Soren Seelow
Mélodie* a 13 ans et deux mois, à cet âge on compte encore les mois. Elle a le visage rond des adolescentes qui peinent à sortir de l'enfance. Des taches de rousseur, des cheveux ondulés coupés au carré. Une « tête d'ange », disent les sources proches du dossier. Le matin du vendredi 28 mars, elle a glissé deux couteaux dans son cartable. Deux lames repliables de 8 cm et de 10 cm, gagnées dans une fête foraine. Gravée sur chaque manche, la photo d'un loup blanc.
En cette veille de week-end, elle est convoquée avec sa mère dans le bureau de l'assistante sociale du collège Jules-Ferry, à Narbonne, dans l'Aude. Mélodie est une honorable élève de 6e. Le rendez-vous a été pris pour parler de ses avant-bras. La jeune fille fait partie d'un petit groupe de collégiennes qui se griffent en classe avec un compas. Les blessures sont superficielles, mais l'assistante sociale a jugé utile d'évoquer la question en famille.
Mélodie a déjà été entendue à ce sujet une semaine plus tôt avec son amie Jennie*, de quinze jours sa cadette. Jennie est en 5e. Elle a les cheveux courts et les yeux clairs. Un visage d'enfant, elle aussi. Elle adore lire, surtout des mangas, et les animaux, surtout les loups. Mélodie adore Jennie. Les deux fillettes se strient régulièrement la peau depuis quelque temps. Jennie avait profité de cet entretien pour verbaliser une colère. Elle disait vouloir tuer sa famille.
Des mots d'adolescente. L'assistante sociale n'imagine pas alors que cette phrase, énoncée à plusieurs reprises devant des camarades de classe, est porteuse d'un projet criminel. Elle décide de convoquer les deux fillettes séparément, accompagnées de leurs parents, pour comprendre les griffures et sonder les motifs de cette violence qui réclame de s'exprimer.
LE GARÇON A FRÔLÉ LA MORT
Lors de ce second entretien du 28 mars, Mélodie évoque donc devant sa mère l'usage qu'elle fait de son compas. Puis elle retourne en classe, les deux couteaux dans son cartable. A la sortie des cours, sa mère l'attend devant l'établissement pour la raccompagner à la maison. En vain. Mélodie est partie avec Jennie rejoindre le domicile familial de cette dernière, à Peyriac-de-Mer, charmant hameau niché entre les vignes de Corbières et l'étang de Bages, où les flamands roses vivent à l'année. Les deux gamines montent à l'étage.
Vers 17 h 30, Gabriel, 7 ans, petit frère de Jennie, rentre à son tour de l'école et monte jouer dans sa chambre. Les deux fillettes le rejoignent. Mélodie sort une lame de son cartable, et la plante dans la nuque de Gabriel. L'enfant crie. Les parents accourent. Le garçonnet leur dit ce qui s'est passé. Le père, maçon au chômage, et la mère, femme au foyer, l'emmènent chez le médecin de famille. La plaie semble superficielle : 2 cm de large. Le médecin pose un point de suture. Les parents ne jugent pas utile d'ébruiter l'incident.
Deux jours plus tard, le dimanche en fin de journée, l'enfant est pris de vomissements et de migraines. De nouveau alerté, le médecin de famille l'envoie aux urgences de Narbonne, qui le transfèrent en neurochirurgie, à Montpellier. Profonde de 3 cm, l'entaille a entraîné une lésion de la dure-mère, la membrane qui protège le cerveau. Le garçon a frôlé la mort.
« MÉLODIE TUE MES PARENTS, JE TUE MON FRÈRE »
Le lundi suivant, Mélodie retourne à l'école. Pas Jennie. S'inquiétant de son absence, l'assistante sociale du collège finit par appeler les parents, et apprend l'incident. Ce n'est que le jeudi 3 avril, soit six jours après les faits, qu'un signalement est fait au parquet de Narbonne, qui ouvre aussitôt une enquête.
Mélodie et Jennie sont entendues en garde à vue pendant 48 heures. Lors des perquisitions, les enquêteurs découvrent un mot griffonné sur une page de cahier : « Mélodie tue mes parents, je tue mon frère. » Les rôles ont été inversés lors de l'agression du petit Gabriel. Et le deuxième couteau n'a jamais servi. Mais la préméditation est retenue. Les fillettes sont mises en examen pour « tentative d'assassinat ». Leurs conversations sont passées au crible. Les enquêteurs tentent de sonder la nature de leur relation et de deviner un éventuel mobile. Trois semaines de SMS sont versées au dossier. Il y est essentiellement question de mangas, de musique, de nourriture et un peu de la colère que ressent Jennie à l'égard de sa famille.
Trois échanges de textos esquissent un semblant de projet. « Ils vont me le payer très cher », écrit Jennie. « Je sais ce que tu ressens », répond Mélodie, qui, un peu plus loin, tente de raisonner son amie : « Tu devrais te calmer. » Jennie laisse alors entendre son intention de passer à l'acte. « Appelle-moi si tu fais ce que je pense », lui répond en substance sa future complice.
LOIN DU « PACTE DIABOLIQUE »
Durant leur garde à vue, les deux adolescentes ont semblé « détachées » des faits, selon le procureur de la République de Narbonne, David Charmatz, qui évoque un projet criminel « hors sol », loin du « pacte diabolique » décrit par certains médias. « Elles ont pénétré de front dans une réalité qui n'était pas pensée. Tout s'est interrompu après le premier coup, quand la réalité du projet a surgi. Il n'y avait pas d'avenir », résume-t-il.
Sommées de livrer des explications d'adulte, les deux gamines n'ont rien trouvé à dire aux gendarmes. Elles ont reconnu les faits, sans être en mesure de les motiver. Jennie était-elle jalouse de son petit frère ? Un peu, comme dans beaucoup de fratrie. Mais elle a répété qu'elle l'aimait, ainsi que toute sa famille. Les deux amies ont pleuré durant leur garde à vue, sans jamais cependant sembler mesurer la gravité de leurs actes.
La violence des mangas ? De la société ? L'irréalité des écrans omniprésents ? Les tourments de l'adolescence ? Un trouble familial invisible ? Tous les intervenants de ce dossier en sont réduits aux conjectures, et espèrent que les expertises psychiatriques apporteront un peu de lumière sur la structure personnelle des deux adolescentes.
Jennie a été placée dans un lieu de vie agréé par la protection judiciaire de la jeunesse. Mélodie, elle, a rejoint lundi 14 avril un centre éducatif fermé. A quelques semaines près, aucune n'aurait été accessible à une sanction pénale. Mais les collégiennes ont désormais 13 ans. Elles encourent vingt ans de réclusion.
* Les prénoms ont été modifiés
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire