Dans une lettre à l’éditeur d’Acta Psychiatrica
Scandinavica, une équipe de psychiatres de Taiwan évoque la place croissante
(voire excessive) du DSM dans la pratique du psychiatre. Ce « Manuel
diagnostique et statistique des troubles mentaux » a été conçu « à des fins de
recherche, d’aide au diagnostic, et de soutien à la communication entre les
professionnels de la psychiatrie. » Mais la « trop grande importance »
actuellement accordée au DSM (comme à la CIM, Classification internationale des
maladies) risque de « nuire non seulement aux progrès des neurosciences », mais
aussi de « compromettre l’essence de la psychiatrie. »
En effet, rappellent les signataires de cette lettre,
la formation classique du psychiatre insiste sur « la compréhension emphatique
de l’état mental du sujet » pour évaluer « déviance ou dysfonctionnements » et
identifier « détresse ou danger. » Or désormais, déplorent-ils, une plus grande
attention semble accordée à la « collecte de critères », au détriment de la
psychopathologie dans la formation psychiatrique et même dans les examens,
alors que les esprits et les comportements humains sont certainement trop
complexes pour se laisser corseter par des listes de critères, sans parler des
contextes spécifiques dans chaque histoire clinique. Il semble donc imprudent
ou excessif de prêter au DSM (ou à la CIM) un rôle présumé d’« étalon-or »
(gold standard), car sans une « compréhension fondamentale et une formation à
la psychopathologie », les symptômes perçus dans l’optique du DSM pourraient «
ne pas être fiables. »
Cette inquiétude suscite une réponse d’un membre de
l’équipe éditoriale (Task Force) du DSM. L’approche prônée par ce Manuel,
explique-t-il est une « étape nécessaire » jusqu’à ce que les psychiatres
puissent disposer d’une « meilleure compréhension de la psychopathologie »,
travail qui demandera « plusieurs décennies », dans la mesure où le cerveau
constitue sans doute « la chose la plus complexe dans l’univers, et ne dévoile
ses secrets que lentement. » En attendant une connaissance plus précise des
mécanismes neurobiologiques et psychopathologiques à l’œuvre dans les maladies
mentales, les psychiatres « ont besoin du DSM pour fournir un langage commun,
aider à orienter la recherche et guider le traitement. » Et s’il n’est pas
conseillé de « faire confiance à un médecin qui s’appuierait exclusivement »
sur les définitions du DSM (ou de la CIM), on semble symétriquement en droit de
« s’inquiéter d’un praticien complètement ignorant » de ces outils de
référence.
Et pour rappeler la part de subjectivité de tout
diagnostic, toujours empreint d’« un certain lien à une culture », l’auteur
rappelle cet aphorisme du Talmud : « Nous ne voyons pas les choses comme elles
sont, nous les voyons comme nous sommes. »
Dr Alain Cohen
RÉFÉRENCES
Chang J P-C et coll.: View on DSM from Taiwan:
transition from IV to 5. Acta Psychiatr Scand 2014: 129: 235.
A. Frances : Reply. Acta Psychiatr Scand 2014: 129:
236.
Dans une lettre à l’éditeur d’Acta Psychiatrica
Scandinavica, une équipe de psychiatres de Taiwan évoque la place croissante
(voire excessive) du DSM dans la pratique du psychiatre. Ce « Manuel
diagnostique et statistique des troubles mentaux » a été conçu « à des fins de
recherche, d’aide au diagnostic, et de soutien à la communication entre les
professionnels de la psychiatrie. » Mais la « trop grande importance »
actuellement accordée au DSM (comme à la CIM, Classification internationale des
maladies) risque de « nuire non seulement aux progrès des neurosciences », mais
aussi de « compromettre l’essence de la psychiatrie. »
En effet, rappellent les signataires de cette lettre,
la formation classique du psychiatre insiste sur « la compréhension emphatique
de l’état mental du sujet » pour évaluer « déviance ou dysfonctionnements » et
identifier « détresse ou danger. » Or désormais, déplorent-ils, une plus grande
attention semble accordée à la « collecte de critères », au détriment de la
psychopathologie dans la formation psychiatrique et même dans les examens,
alors que les esprits et les comportements humains sont certainement trop
complexes pour se laisser corseter par des listes de critères, sans parler des
contextes spécifiques dans chaque histoire clinique. Il semble donc imprudent
ou excessif de prêter au DSM (ou à la CIM) un rôle présumé d’« étalon-or »
(gold standard), car sans une « compréhension fondamentale et une formation à
la psychopathologie », les symptômes perçus dans l’optique du DSM pourraient «
ne pas être fiables. »
Cette inquiétude suscite une réponse d’un membre de
l’équipe éditoriale (Task Force) du DSM. L’approche prônée par ce Manuel,
explique-t-il est une « étape nécessaire » jusqu’à ce que les psychiatres
puissent disposer d’une « meilleure compréhension de la psychopathologie »,
travail qui demandera « plusieurs décennies », dans la mesure où le cerveau
constitue sans doute « la chose la plus complexe dans l’univers, et ne dévoile
ses secrets que lentement. » En attendant une connaissance plus précise des
mécanismes neurobiologiques et psychopathologiques à l’œuvre dans les maladies
mentales, les psychiatres « ont besoin du DSM pour fournir un langage commun,
aider à orienter la recherche et guider le traitement. » Et s’il n’est pas
conseillé de « faire confiance à un médecin qui s’appuierait exclusivement »
sur les définitions du DSM (ou de la CIM), on semble symétriquement en droit de
« s’inquiéter d’un praticien complètement ignorant » de ces outils de
référence.
Et pour rappeler la part de subjectivité de tout
diagnostic, toujours empreint d’« un certain lien à une culture », l’auteur
rappelle cet aphorisme du Talmud : « Nous ne voyons pas les choses comme elles
sont, nous les voyons comme nous sommes. »
Dr Alain Cohen
RÉFÉRENCES
Chang J P-C et coll.: View on DSM from Taiwan:
transition from IV to 5. Acta Psychiatr Scand 2014: 129: 235.
A. Frances : Reply. Acta Psychiatr Scand 2014: 129:
236.
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