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samedi 19 avril 2014

Le cancer et le critique

LE MONDE | Par 

"Vivre en mourant", Christopher Hitchens, Flammarion, 128 pages, 17 €.
"Vivre en mourant", Christopher Hitchens, Flammarion, 128 pages, 17 €. | DR

Athée convaincu à la ligne jamais démentie d'agitateur de conscience à forte teneur politique, Christopher Hitchens, journaliste et écrivain à grand succès dans le monde anglo-saxon, est décédé fin 2011 d'un cancer de l'oesophage à l'âge de 62 ans. Si face à la maladie, trois voies s'offrent à l'écrivain : se taire, écrire dans un but thérapeutique - au risque de tomber dans un sentimentalisme exacerbé -, ou encore relater une expérience, un ultime témoignage entremêlé de réflexions, c'est dans cette dernière qu'il s'est engagé. Et avec une justesse remarquable.
Vivre en mourant, récit qui voit l'auteur dialoguer aussi bien avec T.S. Eliot que Nietzsche ou John Updike, rassemble en huit chapitres des notes prises depuis le jour où, en pleine tournée aux Etats-Unis en 2010, sa maladie se déclara. Certaines avaient déjà été publiées séparément dansVanity Fair, où Hitchens était chroniqueur et critique littéraire.

SAGESSE ANTIQUE
Au gré des chapitres, il y fait preuve d'une écriture hautement responsable. A tel endroit, il s'agit de répondre - encore et toujours - au fanatisme religieux qui voudrait voir dans sa maladie un châtiment divin, fanatisme qu'il a toujours combattu notamment en soutenant Salman Rushdie condamné par fatwa après la publication des Versets sataniques. A tel autre, c'est de sa responsabilité personnelle qu'il s'agit : "Je faisais la nique à la Faucheuse, elle ne m'a pas raté et il m'arrive une chose si prévisible et banale que je suis le premier à trouver ça fastidieux." Livre engagé, on y entend tout le long des échos de stoïcisme et de sagesse antique.
Pour ce brillant essayiste à la plume vive, mordante et polémique (particulièrement à l'encontre des religions dans Dieu n'est pas grand, Pocket 2010), l'exercice pourrait tourner à l'ironie permanente et à un humour noir certes dévastateur mais au goût d'inachevé. Or il n'en est rien. Car si dans les premiers chapitres l'auteur évoque avec humour les difficiles relations des habitants de Tumeurville avec leurs voisins non atteints ou regrette de ne pouvoir "lire - sinon écrire [soi] - même les nécrologies de scélérats vieillissants comme Henry Kissinger et Joseph Ratzinger", ce ton grinçant gagne en profondeur au fur et à mesure du livre - et de la progression de la maladie.
Les relations avec les non-malades se tendent et Hitchens écrit ainsi à la fin, au sujet de sa tumeur : "L'intruse creusait son trou en moi, même lorsque j'écrivais mes phrases guillerettes sur l'annonce prématurée de ma mort." A la lucidité sans faille du début s'ajoute progressivement une sincérité étonnante qui colore d'une teinte plus personnelle l'ensemble du livre. "Le royaume de l'illusion est le tout premier d'où il faut s'échapper."Belle leçon de stoïcisme contemporain.
Vivre en mourant
Christopher Hitchens
Flammarion, 128 pages, 17 €

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