Propos recueillis par Catherine Rollot
Alors que la campagne d'hiver touche à sa fin, avec la fermeture des dernières places de mise à l'abri tout au long du mois d'avril,Alain Raoul, directeur général de la Fondation de l'Armée du salut, dresse un bilan sombre de l'état de l'hébergement. Malgré une hausse du budget et l'ouverture de nouvelles places, sur le terrain, les difficultés perdurent. Le responsable associatif s'inquiète aussi de l'avenir du plan quinquennal de lutte contre la pauvreté lancé en janvier 2013.
Quel bilan dressez-vous de cet hiver ?
Le bilan est dramatique, malgré la création de nouvelles places d'hébergement d'urgence. Une fois encore, les efforts n'ont pas été suffisants au regard de l'ampleur des besoins. En février, selon le dernier bilan de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale, seuls 44 % des appels au 115, le numéro d'urgence des sans-abri, ont donné lieu à une place d'hébergement en province, 55 % à Paris. Et la fermeture des places entre mars et avril se traduit par la remise à la rue d'un nombre conséquent de personnes… Dans le Rhône, 400 places ferment, 300 places en Gironde, 200 places en Isère, 180 places dans le Haut-Rhin…
Pourtant, la question des sans-abri a été peu évoquée cet hiver. Pourquoi ?
Il y a une double explication : météorologique et émotionnelle. Les associations ne cessent de rappeler que le nombre de décès de personnes sans-abri est le même en été qu'en hiver et qu'il reste inhumain et insupportable de laisser des personnes dormir à la rue en août comme en décembre. Pourtant, les gouvernements et les citoyens ne s'émeuvent de cette réalité dramatique que quand les températures baissent. Cette année, l'hiver a été relativement clément, et donc l'émoi médiatique, citoyen et politique a été plus modéré.
La prolongation de la trêve hivernale jusqu'au 1er avril a-t-elle été utile ?
Dans l'immédiat, il est très difficile de mesurer l'impact de cette mesure. Cependant, il ne faut pas se faire d'illusion. Ce n'est pas quinze jours de plus qui vont éviter l'expulsion. Cela retarde uniquement l'échéance. Cette extension n'aura de poids et d'effet qu'à la condition qu'elle soit mise au service d'une véritable politique de prévention et de recherche de solutions alternatives pour les ménagés menacés d'expulsion. Il faut agir bien en amont.
Le gouvernement avait promis la fin de la gestion au thermomètre, est-ce une réalité sur le terrain ?
Non. L'hiver 2014 a été la reproduction pleine et entière des logiques de mise à l'abri antérieures. Ouverture de places temporaires qui ne respectent pas les conditions dignes d'hébergement, incertitude sur les conditions d'ouverture et de fermeture des places, manque de moyens en termes de fonctionnement et d'équipement…
En novembre 2013, l'ancienne ministre du logement, Cécile Duflot, avait réaffirmé deux principes fondamentaux : l'exigence de conditions minimales de qualité et de décence respectant la dignité des personnes et le principe de continuité de l'accueil. Pourtant, dans les territoires, des systèmes de dortoirs, de chambres doubles ou triples, de gymnases sont encore proposés avec une remise à la rue des personnes à la fin de l'hiver.
Cette année encore, nous avons été confrontés au même dilemme éthique : soit nous refusons d'ouvrir des places d'hébergement dans de telles conditions et nous laissons de nombreuses personnes sans solution, soit nous les accueillons et, de fait, participons à un système qui accueille les gens dans des conditions précaires.
Que faudrait-il faire ?
La mise en place d'une meilleure organisation entre les services de l'Etat et les associations qui gèrent les places peuvent localement permettre d'anticiper la fin du plan hiver et de trouver des solutions avant la fermeture des établissements. Mais la seule solution d'ampleur pour arrêter ce système précaire et indigne passe par la construction de logements très sociaux accessibles aux plus fragiles. Il faut faire de cet axe une priorité nationale.
Dans son discours de politique générale, le premier ministre, Manuel Valls, a très peu parlé de l'exclusion, un dossier qui est par ailleurs désormais confié à une secrétaire d'Etat, Ségolène Neuville, et non plus à une ministre déléguée comme c'était le cas sous le gouvernement Ayrault. N'est-ce pas le signe que la question est reléguée au second plan ?
Sans vouloir faire de procès d'intention à la nouvelle secrétaire d'Etat, il est vrai que le gouvernement n'a pas donné de signes très encourageants en termes d'affichage politique. Mais ce qui nous inquiète encore plus, c'est que lors de son allocution, Manuel Valls n'a pas fait référence au plan quinquennal de lutte contre la pauvreté, un plan qui a été présenté il y a un an comme une réforme majeure du gouvernement.
Dans une période où la pauvreté ne cesse d'augmenter, il faut absolument sanctuariser le financement de son plan et continuer à le mettre en oeuvre. Sans cela, des engagements comme la revalorisation du revenu de solidarité active, le déploiement de la garantie jeunes, la production accrue de logements sociaux… ne pourront pas être tenus.
Nous avons bien compris que l'emploi est la priorité du gouvernement. Personne ne peut être contre, mais les efforts ne doivent pas se faire en laissant de côté les personnes les plus éloignées de l'emploi.
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