Aux États-Unis, la justice se pose parfois des questions difficiles à comprendre pour un observateur étranger. Dernier exemple en date : un juge du Mississippi vient d’estimer que si la mère d’un enfant mort-né est une consommatrice de drogue, elle peut être poursuivie pour homicide involontaire, mais pas pour meurtre.
L’affaire remonte à 2006. Rennie Gibbs avait 16 ans et elle a donné naissance à un prématuré qui n’a jamais réussi à aspirer sa première bouffée d’air. Un jury populaire avait estimé qu’ayant fumé du crack alors qu’elle était enceinte, l’adolescente s’était rendue coupable de « deprived heart murder », un crime passible de la prison à vie que l’on pourrait traduire par « meurtre par indifférence ».
Mais après plus de sept ans de bataille juridique, un juge vient d’ordonner l’abandon des charges qui pesaient contre la jeune femme. Il estime qu’au regard de la jurisprudence de la Cour suprême, la qualification de « deprived heart murder » n’est pas légale. Si le parquet désire poursuivre Mlle Gibbs, il doit engager de nouvelles poursuites pour homicide involontaire. Rennie Gibbs risquerait alors une peine maximale de 20 ans de prison.
Le problème du lien de causalité
L’affaire dépasse la question de l’usage des drogues, et est notamment liée à celle du statut de l’enfant à naître. Elle a donc vu s’opposer défenseurs des droits des femmes et opposants à l’avortement. Tout au long des sept années de procédure, une armée de militants a soutenu Rennie Gibbs, estimant que son cas reflétait une tendance de la justice américaine à considérer le fœtus comme une personne et à faire primer ses droits sur ceux de la mère.
La défense de la jeune femme n’a pourtant pas porté sur le problème de la liberté pour les femmes de disposer de leur propre corps, terrain trop glissant devant un jury populaire. Les avocats ont plutôt tenté de prouver que le médecin légiste s’était focalisé sur la question des drogues, et avait omis d’examiner d’autres causes possibles de la mort de l’enfant. D’après eux, la plus probable d’entre elles est l’enroulement du cordon ombilical autour du cou, et non l’usage du crack.
Pas de preuve convaincante
Avocats et activistes ont également mis en doute le lien causal entre consommation de crack pendant la grossesse et mort du fœtus. D’après Deborah Frank, chercheuse à la Boston University School of Medicine citée par le site ProPublica, « il n’y a pas de preuve convaincante que l’exposition prénatale à la cocaïne est plus fortement associée à des dommages pour le fœtus ou des carences dans le développement ultérieur de l’enfant que l’exposition à des substances légales, comme le tabac et l’alcool ».
Autant d’arguments qui devront être de nouveau mis sur le tapis dans le cadre de la nouvelle procédure pour homicide involontaire que le procureur a annoncé vouloir engager, et qu’il espère voir aboutir au mois d’août.
Adrien Renaud
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