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Pour l'épidémiologiste Antoine Flahault, la cigarette électronique comme la bicyclette sont des outils majeurs de prévention qui s’imposent dans le monde davantage par le plébiscite des usagers que par les professionnels de santé ou même les politiques qui semblent manquer ici de vision
« S’il avait fallu compter sur les injonctions des professeurs de santé publique ou des médecins pour que les Parisiens prennent le vélo au lieu de leur voiture, aurait-on assisté au succès du Vélib que l’on connaît dans la Capitale ? Combien d’efforts dans la lutte contre le tabagisme, combinant des contraintes réglementaires, des taxations et des messages de prévention ont-ils été nécessaires d’additionner années après années pour aboutir à des résultats certes significatifs, mais contrastés et finalement très limités ?
Les hommes des couches les plus aisées de la population française ont certes significativement diminué leur consommation de cigarettes durant les dernières décennies, mais les femmes de condition modeste l’ont fortement augmenté pendant la même période. Et près de 50% des jeunes se mettent à fumer. Le cancer du poumon est en train de supplanter en fréquence et en mortalité le cancer du sein chez la femme. Pendant ce temps, on assiste à un engouement que rien ne semble vouloir contrarier vis-à-vis de la cigarette électronique et d’autres dispositifs de consommation de produits à base de tabac sans combustion, produits qui réduisent considérablement les risques connus avec la cigarette. Seul peut-être, le zèle, déplacé, de certains experts tente encore d’entraver l’essor des cigarettes électroniques, notamment en oeuvrant à l’instauration d’une réglementation européenne tatillonne qui n’aura pas d’autre effet que de retarder le basculement massif de la consommation de cigarettes vers les nouveaux modes de consommation de la nicotine sans fumée, et de ce fait d’empêcher de sauver de nombreuses vies. Et pourtant la cigarette est en train, pour la première fois dans son histoire, d’apparaître aux yeux des consommateurs, au moins dans les pays du nord fortement prescripteurs de modes pour le reste du monde, comme un produit obsolète, un produit du « siècle dernier ». La cigarette est désormais rangée au rayon des oubliettes par de plus en plus de vapoteurs, peut-être un peu comme les MMS ont su déclasser petit à petit les cartes postales de nos vacances ou les cartes de vœux à Noël.
La cigarette électronique représente en effet une avancée majeure pour la société, puisqu’elle devient une voie crédible pour réduire des risques liés au tabac fumé, dont l’engouement auprès des fumeurs semble très supérieur à celui qu’avaient rencontré les substituts nicotiniques (patches et gommes), lors de leur mise sur le marché. Les stratégies de réduction de risque sont celles qui s’avèrent les plus efficaces en termes de santé publique, probablement parce qu’elles sont pragmatiques, par rapport aux stratégies visant à l’abstinence ou la prohibition. Que ce soit dans la lutte contre les maladies sexuellement transmissibles, les toxicomanies, l’abus d’alcool, l’obésité ou en matière de sécurité routière, les politiques publiques ont d’abord eu l’objectif de mieux contrôler les risques sans viser l’improbable risque zéro. Les dégâts du tabagisme sont majeurs, puisque l’OMS estime que 100 millions de décès leur ont été imputables au vingtième siècle et que si rien n’est fait pour en stopper la progression, le siècle actuel en verra imputé un milliard supplémentaire. C’est le seul produit dans le commerce qui tue, dans son usage normal, un consommateur sur deux. Face à cela, les politiques publiques visant à limiter l’usage de la cigarette dans le lieux publics et au travail, augmenter les taxes sur le tabac, ou mieux informer le consommateur par des messages ou des images chocs sur les paquets de cigarettes ont connu des succès importants partout où elles ont été mises en place, et elles doivent être généralisées et renforcées là où cela est encore nécéssaire. Mais elles atteignent un seuil qui semble incompressible, puisque partout dans le monde entre 20 et 30% des adultes continuent de fumer malgré ces mesures, avec des fréquences encore supérieures chez les jeunes, en dépit des interdictions de vente aux mineurs. Sauf en Suède, où moins de 20% des hommes fument, en raison notamment de la présence sur le marché d’une forme de tabac de consommation orale sans combustion, les Snus, une alternative reconnue aujourd’hui comme plus sûre que la cigarette (les hommes suédois ont les taux les plus bas de cancers du poumon et de cancers ORL de tous les pays de l’OCDE).
Il est donc urgent aujourd’hui que dans l’Union Européenne, l’idéologie et le moralisme cessent d’influencer les politiques publiques de santé en matière de lutte contre le tabac, afin que les faits et les preuves scientifiques prévalent, et permettent l’adoption de politiques volontaristes visant la promotion de l’usage de la cigarette électronique partout où l’usage du tabac reste important. Il faut parallèlement que des recherches soient menées pour vérifier le degré d’innocuité de la cigarette électronique : est-elle seulement plus dangereuse que la caféine aux doses journalières auxquelles on l’utilise ?
Ceux qui ne partagent pas la conviction de l’intérêt de la cigarette électronique dans la lutte contre le tabagisme présentent généralement deux types d’arguments. Premièrement, la cigarette électronique en entretenant l’addiction à la nicotine représenterait un moyen utilisé par les fabricants de tabac pour maintenir intact le désir de cigarette chez l’ancien fumeur et l’éveiller chez le (jeune) non fumeur. Ce premier argument est cependant réfuté par les faits, puisqu’aucune données, nulle part dans le monde, ne plaide en faveur d’un retour à la cigarette des vapoteurs. Les études montrent au contraire que les fumeurs qui ont arrêté de fumer pour passer à la cigarette électronique reviennent moins souvent à la cigarette que ceux qui recourent aux substituts nicotiniques médicamenteux pour arrêter de fumer. Le second argument est celui de la sécurité sanitaire, avançant le principe de précaution : « on la recommandera lorsqu’elle aura fait la preuve de son innocuité ! ». Ce dernier argument pèse probablement lourdement dans les décisions actuelles visant à restreindre son usage ou sa promotion, tant les politiques sont frileux désormais à prendre des décisions sanitaires qui leur semblent complexes et à haut risque politique, voire judiciaire. Cet argument est par ailleurs difficile à contrer, parce qu’il est vrai que l’on n’a pas démontré aujourd’hui l’innocuité totale de la cigarette électronique. Il est d’ailleurs toujours difficile de démontrer l’innocuité totale d'un produit récent, mais il est en revanche certain que le risque de cancer du poumon ou de maladies cardiovasculaires est extrêmement plus faible avec les cigarettes électroniques par rapport aux cigarettes. Voire même, ce risque est-il nul avec la cigarette électronique, mais c’est de cela dont on n’est pas encore certain, car il faudra des années pour le démontrer, ou le réfuter, scientifiquement. Les experts ne savent pas si la réduction du risque apportée par la cigarette électronique est de 90 ou de 99%... ou même de 100% !
Partout où l’on verra la cigarette électronique remplacer la cigarette classique, les pathologies cardio-vasculaires reculeront rapidement (en quelques semaines). On sait qu’elles sont liées, pour leur part attribuable au tabac, à la production de monoxyde de carbone que ne dégage pas la cigarette électronique. Dans un second temps, on verra aussi reculer les pathologies cancéreuses, notamment les cancers du poumon et les cancers ORL, dont on sait qu’ils sont liés (pour leur part attribuable au tabac) aux goudrons que la cigarette électronique ne produit pas non plus. On verra aussi reculer bon nombre de maladies et inconforts liés au tabagisme qui altèrent la qualité de la vie des fumeurs.
Les comptes sociaux des pays qui feront la promotion d’un usage massif de la cigarette électronique se porteront mieux, tant le tabagisme pèse sur les économies. Certes le tabac rapporte par les taxes qu’il dégage, en France, de l’ordre de 15 milliards d’euro par an à l’Etat, mais il est établi qu’il coûte plus de 45 milliards par an, en termes de pertes de production, d’arrêts maladie et de coûts sur le système de santé. A l’heure où les responsables politiques cherchent des économies, il existe, avec la cigarette électronique, un véritable gisement d’économies qui ne demande qu’à être davantage exploité. Où est la femme ou l’homme politique audacieux, qui prendra la question de la bonne santé et du bien être des Français à bras le corps, en facilitant la promotion de la cigarette électronique chez le fumeur, la bière sans alcool sur les autoroutes, ou l’exercice physique en milieu urbain ? Il faut une politique de prévention beaucoup plus active, volontariste, voire hardie, et bien sûr partagée avec les citoyens si l’on veut sauver des vies et préserver la qualité de nos vieillesses. Les économies qui seront ainsi réalisées seront d’une part colossales et durables, et d’autre part elles ne seront pas associées à des restrictions de l’accès aux traitements, mais au contraire elles permettront une espérance de vie en meilleure santé. La France part de loin, en se classant parmi les plus mauvais élèves de l’Europe en matière de mortalité prématurée (c’est-à-dire survenant avant l’âge de 65 ans) et évitable (c’est-à-dire liée notamment au tabac fumé et à l’abus d’alcool) : il est temps de réagir non ?
On assiste aujourd’hui, avec les mouvements des usagers de la cigarette électronique dans l’Union Européenne, aux USA, en Australie ou au Canada, à un activisme unique dans le monde de la tabacologie, et l’on peut être confiant que les alternatives sans combustion du tabac triompheront au cours du vingt-et-unième siècle. Ce ne sera peut-être pas avec l’appui suffisant des médecins et des professionnels de la santé publique académique, mais ce sera au moins avec le volontarisme et le militantisme des citoyens concernés, un peu à l’instar des premiers mouvements de lutte contre la pandémie du sida. C’est dans ce sens que nous conduit aujourd’hui l’initiative citoyenne EFVI à qui l’on peut souhaiter ardemment le plus grand succès.Tout retard pris dans la mise en œuvre de ces alternatives sera la cause cependant de millions de victimes évitables. Il y a donc urgence à agir. »
Antoine Flahault, MD, PhD, Professeur de santé publique
Le professeur Antoine Flahault, médecin épidémiologiste, est un spécialiste de santé publique. Il a fondé et dirigé l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique en France, il est aujourd’hui directeur de l’Institut de Santé Globale de l’Université de Genève, où plusieurs études sur la cigarette électronique sont actuellement conduites (par le Professeur Jean-François Etter, du même Institut). A. Flahault est aussi co-directeur du Centre Virchow-Villermé de Santé Publique Paris-Berlin à l’Université Sorbonne Paris Cité. Il déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts, ni direct ni indirect, avec l’industrie du tabac ou celle de la cigarette électronique. Un des membres de sa famille travaille dans Les Entreprises du Médicament (LEEM) à Paris.
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