Par Gaëlle Dupont, Catherine Rollot et Soren Seelow
Comment quatre enfants déclarés à l'état civil ont-ils pu passer à travers les mailles du filet de toutes les institutions pendant plusieurs années ? C'est la principale question qui se pose depuis que RTL a révélé, jeudi 20 mars, le cas d'une fratrie qui vivait recluse, dans une barre HLM de la cité des 4 000, à La Courneuve (Seine-Saint-Denis).
Il a fallu la naissance du quatrième enfant d'un couple d'origine indienne pour que la police découvre ce qui se cachait depuis 2008 au 7e étage de la tour du Mail de Fontenay. Trois enfants, des garçons de 2, 5 et 6 ans, privés de soins, d'école et de tout suivi médical depuis leur naissance, partageaient dans le dénuement le plus complet une pièce d'un appartement de 85 m2.
Selon une source judiciaire, aucun signe de la présence d'enfant en bas âge dans l'appartement, à l'exception d'un lit pliant de bébé. Aucun jouet. La baignoire ne semble pas avoir servi depuis des mois. Pendant plus de cinq ans, aucun des occupants des 301 logements de l'immeuble n'avait jamais vu les deux aînés.
« PRIVATION DE SOINS PAR ASCENDANT »
Selon le conseil général de Seine-Saint-Denis, l'alerte a été donnée par l'hôpital Delafontaine à Saint-Denis où la mère se présente le 1er janvier pour accoucher de son quatrième enfant, une fille. L'absence de suivi médical pendant sa grossesse et le peu d'intérêt de la jeune accouchée pour son nouveau-né interpellent les soignants. Avertie, la Protection maternelle et infantile (PMI) convoque le père, âgé de 34 ans quelques jours plus tard.
Les deux enfants les plus âgés, qui présentent des troubles majeurs du développement, ne parlent pas, ne marchent pas et souffrent de fortes carences alimentaires. Ces « enfants sauvages », selon les mots des enquêteurs, sont alors admis à l'hôpital Jean-Verdier de Bondy. Le 17 janvier, l'affaire remonte à la Cellule de recueil des informations préoccupantes (CRIP), un service départemental chargé de centraliser et d'évaluer les informations concernant les mineurs en danger.
Fin janvier, la sûreté départementale est saisie de l'enquête. Mis en examen le 13 février pour « privation de soins par ascendant », les parents sont incarcérés. Les deux aînés ont été placés dans un établissement spécialisé, les deux plus petits sont en famille d'accueil.
28 000 NAISSANCES DÉCLARÉES EN SEINE-SAINT-DENIS
Jeudi, le Défenseur des droits, Dominique Baudis, s'est saisi de l'affaire afin de déterminer d'éventuels dysfonctionnements des services sociaux. Le système d'alerte a fonctionné pour le dernier enfant de ce couple, mais qu'en est-il des aînés, dont les troubles font soupçonner une maltraitance ancienne ? Ils seraient pourtant nés en France et à l'hôpital.
Or une naissance dans une maternité accroît les chances de repérer les difficultés et de déclencher des alertes auprès de la PMI ou des services sociaux. Mais les critères varient selon les endroits. « Chaque département est maître de sa politique et définit des critères de vulnérabilité : première grossesse, grossesse pathologique, bénéficiaires de RSA, absence de déclaration de grossesse, explique Marie-Agnès Féret, chargée d'études enfance famille à l'Observatoire de l'action sociale décentralisée. Ces critères peuvent déclencher une visite à domicile. Mais en Seine-Saint-Denis, les services font face à une masse considérable de dossiers. »
Chaque année, 28 000 naissances sont déclarées dans le département. Selon le conseil général, 8 000 enfants de moins de 18 ans sont suivis par les services de l'aide sociale à l'enfance. La CRIP a enregistré 3 600 signalements en 2013, qui ont abouti à 800 placements en urgence.
« ON NE PARLE PAS UNE LANGUE QU'ON N'A PAS APPRISE »
Des cas tels que celui découvert à La Courneuve sont exceptionnels, même si plusieurs affaires similaires ont été révélées récemment : celle du bébé dissimulé dans un coffre par sa mère pendant deux ans et découvert en octobre 2013 en Dordogne, celle des « enfants de la cave », deux garçons qui avaient passé trois ans dans une cave à Pavillons-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), mise au jour en avril 2013 ou celle de quatre adolescents, reclus trois ans à leur domicile de Saint-Nazaire, et qui vient d'être jugée.
Si elle reste rare en France, la maltraitance des enfants est un phénomène non négligeable. Les derniers chiffres disponibles, qui datent d'une dizaine d'années, évaluent à près de 20 000 le nombre d'enfants maltraités signalés chaque année. Dans cette catégorie figurent plusieurs types de maltraitance : coups, maltraitance psychologique, abus sexuels, délaissement. Les maladies psychiatriques, qui empêchent les parents de se rendre compte de l'état de leurs enfants, la dépression, l'usage de drogues, l'isolement social et familial, l'absence de confiance envers l'extérieur… peuvent éclairer de tels comportements.
Le passé des parents joue également un rôle. « S'ils n'ont pas connu l'attention pour eux, ils peuvent ne pas être en mesure de la porter à autrui, affirme le pédopsychiatre Daniel Rousseau, qui travaille dans une pouponnière de l'aide sociale à l'enfance à Angers. On ne parle pas une langue qu'on n'a pas apprise. » « Les carences intrafamiliales sont souvent le fait de parents qui ont des histoires très traumatiques et ont du mal à se représenter ce dont l'enfant a besoin », estime Romain Dugravier, pédopsychiatre à l'hôpital Sainte-Anne à Paris. Dans l'affaire de La Courneuve, les informations sur la famille sont encore trop parcellaires pour pouvoir avancer une explication.
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