Quel pourcentage d’innovation doit-on aux drogues ?” Sur la scène de Lift, lors d’une prestation qui ressemblait plus à une promotion pour le livre qu’elle s’apprête à publier sur l’économie des mal adaptés (avec Kyra Maya Phillips), Alexa Kay (@alexaclay) ne nous donnera pas la réponse.
Image : Alexa Kay sur la scène de Lift.
La contreculture est-elle encore une contreculture ?
“L’innovation semble hantée par les fantômes d’innovateurs blancs et morts, à l’image de Henri Ford, de Thomas Edison ou de Steve Jobs… Mais ils ne sont pas les seuls à innover. Qui d’autre innove ? Qui sont les innovateurs qu’on ne trouve ni dans Forbes ni dans la Harvard Business Review ?” Alexa Kay s’est intéressé à d’autres formes d’innovation, celle provenant de la contreculture, de l’économie informelle, celle des gangsters, des agitateurs, des pirates, des artistes, des arnaqueurs… Pour regarder si l’on pouvait trouver un lien entre l’innovation classique et celle qui se fait dans les marges de la société. Les pratiques novatrices des mal adaptés sont souvent à l’origine d’innovations que la société intègre et fait siennes, estime la chercheuse. C’est ainsi qu’Alexa Kay est allée rencontrer le chef d’un gang de New York pour observer comment il innove, comment il a du adapter son organisation (“pivoter”, dirait-on s’il parlait le langage des startups) pour s’adapter aux transformations du milieu. En Inde, elle a rencontré des voleurs de brevets pour comprendre comment l’industrie pharmaceutique a dû s’adapter à ces nouvelles concurrences. Elle a rencontré une ancienne hippie qui explique que la communauté est une alternative à la monogamie pour créer moins de stress émotionnel. Des Hackers, des ermites, des manifestants qui poussent les organisations à se transformer…
Image : illustration du graphiste Geoffrey Dorne de Graphism.fr réalisée en direct pendant la conférence d’Alexa Kay à Lift, montrant les différents mal adaptés auxquels l’auteur s’est frottée, dans le cadre d’eventypo, via son compte Twitter.
Pour Alexa Kay, la leçon à tirer de ses deux années passées à rencontrer et apprendre des mal adaptés, consiste à se demander comment créer un espace pour eux dans l’économie. Les marginaux ont de réels talents, comment les intégrer ? Dans un article pour Makeshift, les deux auteurs soulignaient que d’ici 2050, un tiers des travailleurs dans le monde seraient employés par l’économie informelle, alors que l’économie parallèle représente quelques 10 milliards de milliards de dollars. Pour Alexa Kay, la culture d’entreprise d’un Google est proche de l’esprit de gang.“Dans la vie de gang, comme dans le monde de l’entreprise, l’esprit d’entreprise ou la volonté d’aller de l’avant, peuvent aussi menacer le pouvoir (…). L’art de la loyauté est quelque chose que Google connait bien. Dans ses efforts pour recruter et conserver ses employés, Google est connu pour créer une culture d’entreprise très “collante”, fondée sur le jeu et l’expérimentation. Les gangs qui réussissent ne font pas autrement. Ils doivent comprendre que la culture est leur première proposition de valeur. Les Latins King par exemple, un gang de New York, célèbrent la culture hispanique et financent des activités culturelles en plus de leur large éventail d’activités criminelles.”
Dans un récent article qui lui a été consacré, elle explique un peu mieux pourquoi selon elle, les criminels sont les innovateurs de demain. Parce que les marginaux par leur ingéniosité même sont des entrepreneurs naturels et débrouillards. Même si nous pouvons déplorer leurs méthodes, celles-ci doivent toujours être innovantes et différentes. Pour les auteurs, la question est de savoir comment utiliser les compétences des inadaptés autrement : pourrait-on imaginer utiliser les compétences d’un chef de gang dans une entreprise ? Reconvertir les spammeurs nigérians en professionnels de l’informatique ? Les technologies de streaming ont été incubées dans l’industrie du porno. L’innovation est toujours le fait de renégats. Comme le dit Kyra Phillips Maya : “les pirates ont quitté les navires marchands parce qu’ils ont trouvé les navires commerciaux trop déshumanisants. N’est-ce pas ce que font beaucoup de marginaux aujourd’hui ? Ne nous montrent-ils pas comment développer des versions alternatives à un capitalisme devenu obsolète dans lequel nous sommes piégés ? (…) L’économie souterraine est-elle la clé du salut de notre civilisation ?”
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