La grande muette s’est décidée à prendre la parole sur les violences sexuelles. Hier, à l’occasion de la parution de la Guerre invisible, qui fourmille de témoignages sur la situation des femmes militaires, le ministère de la Défense a annoncé ouvrir une enquête sur les violences sexuelles et les cas de harcèlement commis dans l’armée. «Nous avons un contenu équivalent qui est arrivé sur le bureau du ministre la semaine dernière», s’est justifié le porte-parole du ministère, Pierre Bayle, évoquant le rapport classifié du contrôleur général des armées, Gilles Chevalier, sur l’égalité entre hommes et femmes au sein de la défense.
Intruses. L’omerta règne encore en France. Dans la Guerre invisible, les journalistes de Causette Julia Pascual et Leïla Minano racontent l’ambiance machiste de la caserne aux opérations extérieures (Afghanistan, Mali, Centrafrique), où les femmes sont perçues comme des intruses, essuient réflexions salaces et petites phrases stigmatisantes, jusqu’aux actes les plus graves.

A 21 ans, Léa Garreau, gendarme adjointe volontaire, a subi les attouchements d’un collègue dans un contexte de harcèlement sexuel. On tente de la dissuader de porter plainte… avant de la muter dans une autre brigade. Laeticia, soldate victime d’un viol dans sa caserne, a mis sept ans à faire éclater la vérité. Son caporal-chef finit par la traiter de«salope». Car, dans l’armée, la dénonciation est souvent perçue comme une atteinte à la réputation du groupe.
L’ouvrage liste des responsables présumés de violences impunis et des courriers d’alerte restés lettre morte. Le ministère reconnaît que certains témoignages de victimes ne remontent pas, «soit par autocensure ou parce que le commandement des niveaux subalternes ne joue pas le jeu». Mais lors de l’enquête, il avait refusé de rencontrer les journalistes. Seul le général Philippe Mazy reconnaissait, étonné, recevoir des coups de fil pour signaler des cas de harcèlement sexuel.
Depuis vingt ans, l’armée française subit une féminisation à marche forcée. Quand Jacques Chirac décide de la professionnaliser en 1996, l’institution n’est pas préparée, elle doit trouver tous les moyens de grossir ses rangs et donc supprimer les quotas de femmes au recrutement. De 1992 à aujourd’hui, l’armée est passée de 7% à 15% de femmes. Sans rien prévoir d’autre que des chambres séparées et des uniformes adaptés…
Travaux. Il était temps que la France se remette en question. Aux Etats-Unis, la diffusion du documentaire The Invisible War, en avril 2012, a révélé l’ampleur des viols commis au sein de l’armée américaine. Deux jours plus tard, le secrétaire à la Défense, Leon Panetta, annonçait des mesures pour renverser l’impunité de ces crimes, soutenu dans la foulée par Obama. En Grande-Bretagne, en Allemagne ou en Suède, la prise de conscience a donné lieu à des travaux statistiques. Les résultats de l’enquête française sont attendus d’ici fin mars.
Léa LEJEUNE
La Guerre invisible 
De Leïla Minano et Julia Pascual, éd. les Arènes & Causette, 301 pp., 19,80 €.