Il n'y a pas foule, en rétention de sûreté. Quatre personnes (dont une par erreur) y ont été placées, depuis que la loi de 2008 permet de retenir des condamnés « particulièrement dangereux » une fois qu'ils ont purgé leur peine, une sorte de peine après la peine, prolongeable indéfiniment. Les quatre « retenus » ne sont ni détenus ni écroués, mais ne peuvent pas partir. Ils sont tous sortis après trois mois d'ennui profond à regarder la télé, sans trop comprendre ce qu'ils faisaient là – sauf l'un d'eux, un peu fragile, qui était volontaire, mais a dû partir quand même.
Le contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue, a publié mardi 25 février au Journal officiel un avis très sec sur « la mise en oeuvre de la rétention de sûreté », qui constate que ces gens n'étaient pas particulièrement dangereux et n'avaient rien à faire là, que les bases juridiques de la retenue sont « hasardeuses et incertaines » et que la prise en charge de ces personnes « n'existe pas ».
La rétention de sûreté, inventée en Allemagne en 1933, a été introduite en France par la loi du 25 février 2008 de Rachida Dati, alors garde des sceaux. Elle permet de placer en rétention les condamnés à des crimes très graves, punis d'au moins quinze ans de réclusion criminelle, une fois leur peine purgée, s'ils présentent « une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive ». Cette « justice prédictive »avait choqué : pour la première fois en droit, « la dangerosité », un critère vague, était détachée de l'infraction.
LE CENTRE DE FRESNES, LE SEUL DE FRANCE
L'ex-garde des sceaux Robert Badinter avait dénoncé « une période sombre pour la justice » et le candidat Hollande avait promis de supprimer la rétention. Mais « le gouvernement et le président de la République semblent frappés d'amnésie, dénonce le Syndicat de la magistrature (gauche), la suppression de ces mesures n'est pas prévue dans le projet de réforme pénale. »
L'Etat a ainsi installé dix chambres, plutôt confortables, au troisième étage de l'hôpital-prison de Fresnes (Val-de-Marne) qui forment le « centre socio-médico-judiciaire de sûreté », le seul de France. Il est remarquablement désert : le Conseil constitutionnel a considéré en 2008 que la loi ne pouvait pas être rétroactive, et donc les condamnés à quinze ans de prison et une rétention de sûreté à partir de 2008 n'y seront admis qu'en 2023 – 2020 si l'on considère les possibles réductions de peine.
Mais l'esprit de la décision a été contourné, et une nouvelle loi du 10 mars 2010 a permis d'y conduire une autre catégorie de personnes : les condamnés à des peines de quinze ans dont la cour d'assises n'a pas ordonné une rétention de sûreté mais « une surveillance judiciaire », qui peut, après la peine, être transformée en surveillance de sûreté.
« ON TRANSFORME CE CENTRE EN MOUROIR »
Si les obligations de la surveillance n'ont pas été respectées, elle se transforme en rétention de sûreté. C'est le cas des quatre retenus du contrôleur général : l'un n'avait pas respecté son obligation de soins psychiatriques et de résidence ; le second n'avait pas le droit d'aller au café et dans des lieux accueillant des mineurs, les trois et quatrièmes avaient manqué trop de rendez-vous chez les médecins. Le dernier, condamné à dix ans, n'avait rien à faire là : son placement a été levé après quatre-vingt-huit jours de privation de liberté irrégulière.
Le contrôleur a trois interrogations : ces quatre personnes justifiaient-elles d'une particulière dangerosité ? « La réponse est évidemment non », estime M. Delarue. La commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté avait d'ailleurs rendu un avis défavorable pour deux d'entre eux. Deuxième souci, la loi de 2008 prévoit « une prise en charge médicale, sociale et psychologique », or il n'y a rien à faire à Fresnes. « La prise en charge est à l'état embryonnaire, on transforme ce centre en mouroir. » Aucune personne « n'a bénéficié d'un suivi spécialisé ouvert aux auteurs d'infractions à caractère sexuel ».
Dernier problème, grave sur le plan des principes, « l'incertitude sur le fondement juridique ». Les quatre retenus ont été condamnés dans les années 2000, alors que n'existaient ni la surveillance judiciaire, ni la surveillance de sûreté. Or la loi n'est pas rétroactive. « On ne peut pas additionner des dispositifs de contrainte qui n'étaient pas prévus lors de la condamnation », estime Jean-Marie Delarue. La Cour européenne des droits de l'homme a estimé que la rétention de sûreté était possible, mais qu'elle était bien une peine. Le Conseil constitutionnel a jugé du contraire. « Ce débat n'est pas clairement tranché en France, a conclu Jean-Marie Delarue, et ce mécanisme est pour le moins hasardeux et incertain. »
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