Le docteur André Hazout, gynécologue de belle réputation, spécialiste de l’infertilité et roi de la PMA vient d’être condamné à huit ans de prison pour viols et agressions sexuelles sur ses patientes.
Au-delà de la sanction prononcée, ce procès perturbant a vu s’entrechoquer stéréotypes antiques et modernités réversibles, masculinisme tout-puissant et féminité engluée dans ses déterminismes.
Science et inconscience. Ce praticien au savoir avancé, ce technicien maîtrisant les dispositifs les plus élaborés, cet homme de progrès qui permet aux femmes de s’affranchir des diktats de mère Nature est aussi un archaïque des plus convenus, un prédateur à l’ancienne, un père de la nation originelle. Il a acquis les compétences pour féconder in vitro, il a développé des facilités pour injecter des embryons congelés. Mais, dans le même mouvement, il se comporte en ensemenceur au geste auguste, en embobineur à génitoires en arrosoir, en généreux pisseur d’éjaculat trop humain, en épandeur de sa superbe foisonnante. C’est comme s’il était le procréateur ultime, celui auquel aucune femme ne résiste, celui auquel toutes doivent ouvrir les cuisses pour que la horde primitive croisse et multiplie. C’est comme s’il fallait que les bébés-éprouvette donnent la main aux bébés éprouvés dans une ronde enfantine autour du fauteuil gynécologique rhabillé de pourpre tel un trône damassé, où siégerait, débonnaire et souriant, l’homme ultime, le pater de toutes les familias, l’être «sachant» et charmant, rassurant et enveloppant, protecteur et… abuseur.
Jupiter et Danaé. Jupiter poursuivait de ses assiduités la belle Danaé. Le père de celle-ci, averti par un oracle que l’enfant à naître le tuerait, enferma Danaé dans une tour d’airain. Jupiter se donna un tour de rein pour faire pleuvoir un nuage poudré d’or qui féconda Danaé et dont naquit Persée.
Peinte par Klimt, Danaé blottit son refus sous le parapluie d’un recroquevillement où la jambe se fait lourde mais où la nidification héritière et rémunératrice est déjà en germe. Il y a moins rétraction ou répulsion qu’endormissement sous l’averse qu’accueille une placidité épanouie.
Sous les pinceaux de Schiele, Danaé, jaunie par son recel, se replie sur elle-même, accroupie et contractée, tapie au fond d’un antre qui peut être une cachette, un cachot ou… un utérus.
Le plus en phase avec l’ambivalence qui a parfois saisi les patientes agressées est peut-être le diptyque de Picasso. Il y a d’un côté une Danaé, tranquille et repue, endormant sa satisfaction post-coïtum, teintée canari, égayée poussin. Et, en reflet, il y a l’autre Danaé, rouge de honte, rouge de la passion défendue pour le père harceleur, rouge de la timidité d’avoir à repousser un désir sexuel encore plus fort, encore plus torve que l’absolu désir d’enfant. Mieux, Picasso entrecroise sur la toile les fers forgés des pieds des tables de la loi et le fer noir des barreaux derrière lesquels sera enfermé l’ancien médecin.
Maternité et vulnérabilité. Ce qui perturbe dans ce procès, c’est aussi cette impression que, pour les meilleures raisons, on ne cesse de renvoyer le deuxième sexe à sa fragilité théorique, à sa vulnérabilité hormonale. On redessine le signe égal entre féminité et maternité. On ne serait pas une femme accomplie si on n’enfantait pas. Et, puisqu’on enfante, on requiert protection de l’homme, père ou médecin, engendreur bon genre et pas du tout gender.
On pensait pourtant que la donne avait évolué. L’avortement et la contraception permettent le contrôle des naissances et la réappropriation des corps. Le travail des femmes et le divorce compensatoire facilitent l’avancée vers la société de l’individu. La PMA et la GPA découplent la reproduction de la physiologique. On n’en est pas encore à l’externalisation de l’embryon imaginée par Henri Atlan, mais on peut déjà phosphorer sur ces couveuses sorties tout droit d’un film de SF à laAlien.
Et voilà que l’un des héros de ces féeries à gamètes se révèle être un violeur à l’ancienne. Et voilà que des femmes en demande, en souffrance se vouent corps et bien à ce magicien masqué au point d’être incapables de repousser des accès libidineux qu’il enrobe d’attention, d’encouragements, de gentillesse.
Elles sont dans un tel besoin de se conformer à leur destin immémorial, à la classique demande sociale de préservation de l’espèce, qu’elles se noient dans la sidération, oublient de penser par elles-mêmes et donnent tout pouvoir à l’homme en blouse blanche.
En attendant que les hommes puissent être enceints, façon Mastroianni dans un film de Demy, il faudrait commencer à valoriser et faciliter l’adoption. Afin de rompre avec l’état de nature, vers lequel femmes et hommes régressent parfois par saccades.
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