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mardi 5 septembre 2023

Les neurosciences recherchent la source de notre créativité

Par    le 29 août 2023

Une équipe française de l’Institut du cerveau a mis en évidence le rôle des préférences individuelles dans le processus créatif, ainsi que leur influence sur la vitesse d’émergence de nouvelles idées.

« La Trahison des images (Ceci n’est pas une pipe) », de René Magritte (1898-1967), au Centre Pompidou, à Paris, en 2016.

D’où notre créativité naît-elle ? Si le mythe veut qu’il faille laisser vagabonder nos pensées pour faire émerger nos idées, pour les neuroscientifiques, les éclairs de génie du type « Eurêka ! » n’existent pas. Le processus créatif est le résultat de mécanismes complexes faisant intervenir des réseaux cérébraux distincts. Loin, donc, de l’idée populaire d’une illumination novatrice.

Mais comment, parmi toutes les idées qui bouillonnent dans notre esprit, sélectionne-t-on les meilleures ? Et comment cela influence-t-il notre degré de créativité ? C’est la question à laquelle des chercheurs Inserm de l’Institut du cerveau, à Paris, ont tenté de répondre, en étudiant les préférences individuelles permettant d’évaluer nos idées créatrices. Les résultats de l’étude, publiés le 14 août dans la revue American Psychologist, montrent que les individus les plus créatifs sont ceux qui accordent beaucoup d’importance à l’originalité de leurs idées, sans en négliger la pertinence.

« En neurosciences, on considère qu’on évalue notre créativité en fonction de ces deux critères, explique Alizée Lopez-Persem, neuroscientifique chargée de l’étude. Nos recherches consistaient à connaître le rôle de nos préférences individuelles sur notre créativité, c’est-à-dire de savoir à quel point on est créatif selon que l’on donne de l’importance à l’originalité ou à la pertinence de nos idées dans le processus d’évaluation. »

Tests d’association libre

Les chercheurs ont d’abord réalisé une étude comportementale sur soixante et onze participants. Leur première tâche consistait à effectuer des tests d’association libre. On leur proposait un mot, auxquels ils devaient associer un autre ; d’abord le premier qui leur venait à l’esprit, avant de formuler une association qu’ils jugeaient créative. Par exemple, à la proposition du mot « mère », beaucoup de participants ont d’abord associé le mot « père ». En cherchant une association plus créative, certains ont répondu « école ». Les participants étaient ensuite invités à évaluer leur appréciation de ces associations d’idées, ainsi que leur degré d’originalité et de pertinence. Le mot « école », en réponse au mot « mère », a par exemple été évalué comme une association à la fois originale et pertinente. Enfin, tous durent effectuer un test de créativité standardisé, afin d’établir le profil de chaque participant.

Une approche d’individualisation des processus que loue Sylvie Chokron, neuroscientifique au CNRS et collaboratrice du cahier « Science & médecine », qui n’a pas participé à l’étude : « Souvent, les modèles qui essaient de décrire des modes de fonctionnement moyennent les processus, ils les uniformisent. Cette étude est importante parce qu’elle met en avant la neurodiversité, c’est-à-dire le fait d’avoir des individus différents, qui n’auront donc pas les mêmes préférences. »

Autre résultat : plus on aime l’idée que l’on s’apprête à formuler, plus on la propose rapidement. L’étude permet d’expliquer, par le biais des préférences, l’importance de la motivation dans le processus créatif. « L’accélération et le ralentissement de la pensée montrent une énergisation du comportement lorsque l’on apprécie nos idées », indique Raphaël Gaillard, professeur de psychiatrie à l’université Paris Cité. Des conclusions jugées importantes par Pierre-Marie Lledo, directeur du département de neurosciences à l’Institut Pasteur, alors qu’on « se pose la question de savoir comment on peut optimiser les fonctionnements du cerveau pour être plus créatif ».

« La part inconsciente »

La deuxième partie de l’étude consistait à développer un modèle computationnel (un programme informatique) et à le confronter aux résultats observés lors de l’étude comportementale. « Le but était de fournir une explication mécanistique. On a traduit nos hypothèses par des équations mathématiques, et on a observé les réponses données par le système. Son fonctionnement était très proche de celui du comportement des humains lorsqu’ils créent : on peut donc dire qu’on s’est rapproché d’une compréhension du fonctionnement cérébral du processus de créativité », conclut Alizée Lopez-Persem.

S’il devient possible de modéliser le processus créatif, quid de l’intelligence artificielle (IA) ? Pourra-t-on créer des systèmes aussi fonctionnels que ceux de la créativité humaine ? « Dans le processus créatif, il y a aussi beaucoup de mécanismes inconscients, difficiles à modéliser. Le rôle de la mémoire, les biais de confirmation, la métacognition… Il est donc peu probable que cette part inconsciente puisse être recréée par une IA », précise Sylvie Chokron. Un point de vue partagé par Raphaël Gaillard : « Nos pensées ne viennent pas uniquement de façon mécanique. Les émotions ont aussi un rôle dans ces processus. »

Ces résultats ne sont que le commencement des recherches sur le sujet. A terme, les scientifiques de l’Inserm souhaitent affiner leurs modélisations computationnelles des mécanismes cérébraux impliqués dans le processus de créativité. Sans oublier le rôle des émotions.


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