Ces produits ou nouvelles habitudes font un carton aux Etats-Unis et pourraient bientôt déferler en France. « M » les a testés pour vous en avant-première. Cette semaine, la boîte KSafe dans laquelle on enferme chocolat ou smartphone pour s’empêcher de craquer.
Ça ne ressemble à rien. Une boîte en plastique, juste un peu lourde en raison du poids du couvercle. C’est ce qu’on a trouvé de plus efficace pour s’imposer des détox numériques ou pour décrocher d’autres addictions. On y glisse son téléphone, on règle un temps d’enfermement, disons huit heures, jusqu’au lendemain matin. Après un compte à rebours de cinq secondes, deux mini-rectangles sortent du couvercle et voilà la boîte verrouillée.
Sur les photos de suggestion d’usage, des smartphones, consoles de jeux, paquets de cigarettes, cartes bancaires et, étrangement, un préservatif. David Krippendorf, inventeur de la KSafe, l’avait d’abord appelée Kitchen Safe (« coffre-fort de cuisine »). A sa création, en 2013, il s’était imaginé venant au secours de tous ceux qui n’arrivaient pas à tenir leur régime : les gens se serviraient de la boîte, comme lui, pour y ranger des cookies et du chocolat. « Un an après, je me suis rendu compte que les gens l’utilisaient pour y enfermer leur smartphone », nous raconte-t-il.
Les ventes de KSafe ont bondi en 2020, après la sortie de The Social Dilemma (Derrière nos écrans de fumée), un documentaire de Jeff Orlowski consacré à l’exploitation des algorithmes à des fins addictives diffusé sur Netflix, qui y connaît un rayon en la matière. On y voit Tim Kendall, ancien directeur de la monétisation de Facebook et ex-président de Pinterest, le réseau social de partage d’images, – donc responsable de tout ce qui nous arrive –, expliquer s’être promis un millier de fois qu’il n’emporterait plus son téléphone dans sa chambre et en être incapable.
Là, surgit à l’écran la boîte dans laquelle tous les membres d’une famille glissent leur téléphone à l’heure du dîner. Tim Kendall est aujourd’hui PDG de Moment, une appli de contrôle du temps passé en ligne, ce qui amène à s’interroger sur la sincérité de ses aveux. Est-il vraiment repenti ou s’est-il dit que le marché de la désintoxication des smartphones était désormais supérieur à celui des réseaux sociaux ?
Par tranche de deux heures et la nuit
Aujourd’hui, la moitié de ces boîtes sont vendues aux Etats-Unis, et l’Europe est désormais le deuxième marché. Deux semaines après en avoir fait l’acquisition, j’y enferme mon téléphone par tranche de deux heures quand j’ai besoin de me concentrer pour travailler, puis pour la nuit, avec l’impression de réclamer une interdiction de casino.
Il y a quelque chose d’un peu décadent dans l’idée de payer un tiers de la valeur de mon téléphone d’occasion pour m’empêcher de l’utiliser. Mais, après tout, dans une société d’abondance, d’autres paient pour des stages de jeûne, et Marie Kondo a vendu des millions de livres pour aider à faire le tri et avoir moins d’affaires chez soi. Par ailleurs, auprès des ados, il est plus facile de dire : « On va mettre nos téléphones là-dedans » que : « Donne-moi ton téléphone. »
Détail perturbant dans le documentaire, la boîte est transparente. Pourtant, n’importe quel addict au chocolat sait qu’il cédera moins à la tentation s’il le cache au fond du placard. Après avoir fait l’acquisition d’un modèle opaque, on comprend que la vraie difficulté tient à résister à casser la boîte pour savoir qui appelle dès que le téléphone sonne.
A chaque fois qu’on la montre, la question est invariable : « Mais si tu as vraiment besoin d’utiliser ton téléphone ? » La première réaction consiste à trouver que c’est une invention formidable pour les autres mais inutilisable à titre personnel, car chacun se considère comme une personne qui doit pouvoir être appelée à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, contrairement aux autres, dont les vies sont si prévisibles. Pour les présidents de la République et tous les convaincus que des appels d’urgence les attendent, un modèle d’une autre marque, conçu comme un étui, laisse un trou pour glisser un doigt afin de décrocher son téléphone en cas d’appel.
En ligne, des utilisateurs regrettent que la boîte soit un peu trop facile à casser ou qu’on ne puisse pas racheter des couvercles à l’unité. C’est dire à quel point la tentation de raccourcir le temps de détox doit être puissante. « N’importe quel coffre peut être cassé, nous confirme David Krippendorf. Et, en effet, parfois les gens en ont réellement besoin. La boîte est là pour dissuader. Ils savent qu’ils peuvent la casser, mais ils savent aussi qu’il y a un coût pour la remplacer, donc vous n’allez pas la casser pour n’importe quel appel… » La question est d’ailleurs posée sur le mode d’emploi qui accompagne la boîte. « Y a-t-il une solution d’urgence en cas de besoin ? – Non, car si elle existait, vous ne pourriez pas vous empêcher de l’utiliser tout le temps. » C’est juste.
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