Publié le 03 septembre 2023
C’est pour se conformer à des normes religieuses propagées par les islamistes que l’abaya est couramment portée, affirme, dans une tribune au « Monde », le professeur d’histoire-géographie Iannis Roder, favorable à l’interdiction annoncée par Gabriel Attal, le ministre de l’éducation nationale.
La loi du 15 mars 2004 interdit le port de signes et tenues ostensibles par lesquels les élèves manifestent une appartenance religieuse. C’est en application de cette loi que le ministre de l’éducation nationale, Gabriel Attal, a décidé qu’« on ne pourrait plus porter l’abaya à l’école ». Si l’émergence de ce vêtement avait été signalée dès 2010 dans quelques établissements scolaires de Seine-Saint-Denis, ce n’est que récemment que son port s’est étendu de manière significative.
Afin d’éviter de tomber sous le coup de la loi, des élèves ont développé une rhétorique selon laquelle le port de cette robe n’aurait pas de signification religieuse. Leur argumentaire affirme qu’il s’agirait d’une « simple robe », qu’elle serait « culturelle et non cultuelle ». Qui croit-on tromper ainsi ? Ces jeunes filles, formatées à des discours bien rodés et à des éléments de langage identiques à Lille, à Nice ou à Toulouse, ne font que reprendre les discours islamistes dont l’intention est de saper l’école de la République, qui représente pour l’islam politique un danger, car elle propose l’accès à la liberté individuelle par le savoir.
Pas religieux, le port de l’abaya ? Les boutiques en ligne proposant des « vêtements islamiques » ou « pour femmes musulmanes » suggèrent le contraire. De fait, l’abaya est couramment portée dans le but de se conformer à des normes religieuses demandant aux femmes d’être « respectables », donc « pudiques ». Cette conception rabaisse la femme, coupable par nature et sommée de soustraire ses formes – comme le voile soustrait sa chevelure – au regard des hommes, au risque de déclencher le mépris, la colère, voire la violence de ces derniers.
La situation des femmes iraniennes ou afghanes nous le rappelle tous les jours. C’est comme cela que se mettent en place le contrôle du corps des femmes et une police du vêtement, mais aussi que l’islamisme fait peu à peu glisser l’islam vers des normes rigoristes, faisant accroire à une partie de la jeunesse française que certaines pratiques seraient musulmanes quand elles sont en réalité islamistes.
Appartenance communautaire
Le port de l’abaya s’inscrit dans cette logique, car il constitue bel et bien un geste politique relevant davantage du port d’un uniforme que d’une banale coquetterie : cette robe permet de se distinguer, donc de se reconnaître, tout en se soumettant à des règles de conduite dont la philosophie est étrangère à celle de l’école de la République. Elle marque ainsi une appartenance communautaire et, s’il est difficile à certaines de l’enlever, c’est bien qu’elles enfreindraient ces règles, parfois comprises comme absolues. D’ailleurs, un « simple vêtement » pourrait-il donner lieu au déchaînement qui, sur les réseaux sociaux, a accompagné l’annonce de l’interdiction ?
Cette dimension politique nous est également rappelée par la présence, en 2011, lors des premiers incidents liés au port d’abayas dans un lycée de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), d’Abdelhakim Sefrioui – sinistre personnage au cœur de la mécanique qui a conduit à l’assassinat de Samuel Paty –, qui se faisait passer pour l’oncle de l’une des élèves afin de pouvoir faire pression sur la proviseure. Ces jeunes filles disaient alors porter ce vêtement volontairement, et nombreuses aujourd’hui sont celles qui répètent inlassablement : « C’est mon choix. »
Rien ne garantit que certaines ne le font pas sous pression, directe ou indirecte, par l’intériorisation d’un contrôle social émanant de leur environnement immédiat et véhiculant un message contraire à l’égalité républicaine. Or, c’est là l’objet de la loi du 15 mars 2004 : protéger des pressions, le temps de l’école, les jeunes citoyens ou citoyennes en formation. Cette loi s’inscrit ainsi dans la continuité de celle de 1905, qui dispose, dans son article premier, que « la République assure la liberté de conscience » de tous les citoyens, mais aussi, dans son article 31, que chacun doit être protégé des pressions.
Il serait en outre curieux que l’école, qui a fait de l’égalité femmes-hommes une priorité, autorisât en son sein des vêtements dont le port est « un signe de soumission patriarcale », pour reprendre les termes utilisés, à l’époque pour le voile, par Jean-Luc Mélenchon dans une interview à l’hebdomadaire Marianne. C’était en 2010.
Forme de pression
Alors, oui, ce type de vêtement doit être proscrit au sein des écoles de la République, où chaque enfant de France a, le temps de sa scolarité et donc de sa construction citoyenne, le droit de se voir offrir la possibilité de se dégager des déterminismes, de profiter de cette « respiration laïque » chère à la philosophe Catherine Kintzler. A l’école, le jeune n’est plus uniquement l’enfant de ses parents et de son milieu ; il est un élève, car il progresse dans la construction de son libre arbitre, de son autonomie, possiblement dégagé du poids de ce qui le contraint par ailleurs, et cela, juste le temps de l’école, puisque rien n’interdit aux élèves de revêtir ce qu’ils veulent une fois hors de l’établissement.
La République ne demande pas aux élèves d’adhérer à ses discours ni même à ses enseignements. Elle demande qu’on les suive et qu’on ne les conteste pas, car ils sont basés sur la science et sur la raison, c’est-à-dire sur ce qui est démontrable et a priori acceptable par tous, ouvrant ainsi l’accès au libre arbitre et à l’émancipation individuelle. Or, porter une tenue qui, au regard des représentations communes, permet assurément d’identifier des élèves par leur appartenance religieuse peut également exercer une forme de pression, non seulement sur les élèves, mais également sur le professeur, qui enseigne des sujets dont nous savons aujourd’hui qu’ils peuvent prêter à discussion, voire à contestation, pour des raisons religieuses.
C’est le cas, par exemple, de certains textes des philosophes des Lumières, de la relation entre Rimbaud et Verlaine, de la naissance de la vie et de bien d’autres thèmes. L’immixtion des revendications et des croyances au sein de l’école avait déjà appelé des réactions de l’institution scolaire. Que l’on se souvienne de Jean Zay [1904-1944], qui affirmait que « les écoles doivent rester l’asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas ». Sachons aujourd’hui nous montrer dignes du ministre du Front populaire.
Iannis Roder est professeur d’histoire-géographie, directeur de l’Observatoire de l’éducation de la Fondation Jean Jaurès.
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