par Elsa Maudet publié le 7 septembre 2023
Les crèches privées lucratives sont dans le viseur. En cette fin de semaine, deux livres enquêtes paraissent sur le sujet, faisant craindre ou espérer, selon les acteurs, une détonation dans l’opinion publique. Le contenu de l’un des deux est déjà connu. Dans le Prix du berceau, qui sort vendredi, les journalistes indépendants Daphné Gastaldi et Mathieu Périsse décrivent le fonctionnement des entreprises de crèches et l’impact de leurs pratiques sur l’ensemble du secteur.
Ils se penchent en particulier sur les «Big Four», à la tête de 65 % du marché des crèches privées, que sont les Petits Chaperons rouges, Babilou, People & Baby – tous trois détenus par des fonds d’investissement – et la Maison bleue. On peut y lire des récits de maltraitances (sous-alimentation, changes insuffisants…) et surtout le décryptage d’un système de remplissage à tout prix, qui broie les salariées et se répercute sur la qualité d’accueil des enfants, encouragé par les règles instaurées par les pouvoirs publics.
Le second livre, Babyzness, est signé des journalistes du Parisien Bérangère Lepetit et Elsa Marnette. Elles décrivent elles aussi les méthodes mises en place par les crèches privées – qui représentent un quart du secteur – pour faire des économies sur le dos des bébés, sans que l’on en sache davantage au moment de boucler cet article, l’ouvrage étant entouré d’un strict embargo jusqu’à sa sortie, ce jeudi. De quoi alimenter les interrogations. L’effet sera-t-il aussi fort qu’après la parution des Fossoyeurs, de Victor Castanet,sur les maltraitances dans les Ehpad du groupe Orpea ? A noter que le journaliste prépare lui aussi un livre sur les crèches privées, prévu pour le début d’année prochaine et qui promet des révélations.
Commission d’enquête parlementaire
Ces sorties consécutives remettent en tout cas assurément le sujet sur la table. Une nouvelle pièce dans la machine alors qu’un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), paru en avril, alertait déjà sur les maltraitances dans les crèches en général, sur la «dégradation progressive de la qualité d’accueil au profit de logiques financières» dans les structures privées en particulier, en pleine expansion. «On a un grave problème dans le secteur. Il est sous-financé et les normes qui s’appliquent sont insuffisantes pour accueillir correctement les enfants. Si vous ajoutez à ça la recherche du profit, vous avez un cocktail explosif et vous êtes sûr et certain que ça se passe mal», lâche William Martinet, député LFI engagé sur le dossier.
Mercredi, il a réitéré sa demande de création d’une commission d’enquête parlementaire «sur le modèle économique des entreprises de crèches et la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements». L’élu des Yvelines avait lancé cette proposition en avril, dans la foulée de la parution du rapport de l’Igas, une demande qui n’a depuis pas été suivie d’effet.
«Mon groupe et moi avons une opinion assez arrêtée sur la marchandisation de la petite enfance : elle est intrinsèquement dangereuse. Mais l’objectif est que cette commission d’enquête soit transpartisane, qu’elle réunisse ceux qui veulent maintenir le privé et ceux qui n’ont pas encore d’avis, pour que le débat soit transparent, plaide-t-il. Il y a des questions en suspens sur l’utilisation des fonds publics par les grands groupes, il faut qu’on utilise les outils constitutionnels à notre disposition pour avoir les réponses.»
Davantage de contrôles
Selon nos informations, le sujet a à peine été abordé lors de la réunion du comité de filière petite enfance organisée mardi par Aurore Bergé, la ministre des Solidarités. Tout juste les gestionnaires de crèches privées ont-ils argué qu’il ne fallait pas tout mélanger et qu’ils faisaient tout pour que la qualité d’accueil soit la meilleure possible.
Le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, a quant à lui affirmé mercredi qu’il fallait «entrer pleinement dans la culture du contrôle» des crèches. «Il faut être capable de faire davantage de contrôles et dans tous les secteurs : les problématiques ne sont pas les mêmes selon qu’on s’adresse à une crèche publique, privée, associative ou micro-crèche», a-t-il estimé. Des annonces devraient d’ailleurs être faites sur le sujet dans le courant du mois.
Jean-Christophe Combe, le précédent ministre des Solidarités, avait affirmé en juin qu’une révision du système de financement du secteur privé ne faisait pas partie des plans. Reste à voir si la sortie des deux livres peut faire bouger la nouvelle ministre. Vu la déflagration médiatique du livre les Fossoyeurs, mais sa faible traduction en termes politiques, le doute est permis.
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