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vendredi 26 mai 2023

Pornographie chez les mineurs : « Le monde des adultes a souvent l’impression que les ados prennent ce qu’ils voient pour argent comptant. C’est faux »

Propos recueillis par  

Publié le 25 mai 2023

D’après une étude de l’Arcom publiée jeudi, 2,3 millions de mineurs ont consulté des sites pornographiques en 2022, un chiffre en hausse de 36 % en cinq ans. Diane Saint-Réquier, éducatrice et formatrice en santé sexuelle, revient sur la nécessité d’engager un dialogue avec les mineurs le plus tôt possible.

Une étude publiée, jeudi 25 mai, par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom)est venue mettre un coup de projecteur sur un phénomène connu pour être en pleine expansion. Selon les résultats de cette enquête menée par Médiamétrie, 2,3 millions de mineurs ont consulté des sites pornographiques en 2022, un chiffre en hausse de 36 % en cinq ans. L’Arcom, chargée par la loi de protéger les mineurs face à ces images, a constaté « une consultation de masse des sites pornographiques par les mineurs », qui se fait « essentiellement sur les smartphones, c’est-à-dire hors du regard parental ».

Les résultats de cette étude réalisée en France sur 25 000 panélistes mettent en exergue un autre élément : le très jeune âge des mineurs en question. D’après les données de l’enquête, 51 % des garçons de 12-13 ans regardent des sites pornographiques chaque mois, et 21 % des garçons de 10-11 ans. La fréquentation est bien moindre pour les jeunes filles.

Diane Saint-Réquier est éducatrice et formatrice en santé sexuelle depuis dix ans. Dans des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux par France.tv Slash, elle répond aux questions des internautes sur la santé, les sexualités et les identités. Mme Saint-Réquier anime également des séances d’éducation sur la vie affective et sexuelle auprès de collégiens et de lycéens en Ile-de-France. Dans un entretien au Monde, elle revient sur la nécessité d’allier l’éducation à la sexualité à l’éducation aux médias.

L’exposition d’adolescents de plus en plus jeunes à des contenus pornographiques en ligne fait naître un certain nombre d’inquiétudes, tant du côté des parents que des autorités. D’après votre expérience de terrain, diriez-vous que c’est un phénomène dangereux ?

« Chiffres alarmants », « situation inquiétante »… Ce ne sont pas des termes que je reprendrais à mon compte. Les mineurs accèdent à la pornographie très facilement et de manière massive, c’est une réalité. Mais il faut d’abord comprendre ce qui se joue autour.

Tout d’abord, pour les garçons, consulter des contenus pornographiques est une attente de genre. C’est-à-dire que dans les étapes de la construction de la sexualité d’un jeune homme, le fait de regarder de la pornographie et de se masturber (les deux sont très liés) est quelque chose qui est attendu de lui socialement. Sur le terrain, lors des animations, les garçons sont d’ailleurs les seuls à s’exprimer sur le sujet, à sortir des références de noms d’actrices ou des noms de site, à se faire des blagues dans leur groupe de copains… Il y a une connivence masculine sur le sujet.

Les filles n’en parlent pas du tout. Pour elles, à l’inverse, avoir un accès autonome à la sexualité à travers la masturbation et pourquoi pas la pornographie est un interdit social. Les filles accèdent à la pornographie plus tard, et généralement avec un compagnon. On est vraiment dans des schémas très genrés et rigides.

Ensuite, le monde des adultes a souvent l’impression que les ados prennent la pornographie pour argent comptant, qu’ils sont complètement naïfs et qu’ils pensent que ce sont des représentations de la sexualité qui peuvent correspondre à la réalité. C’est faux. Une bonne partie d’entre eux a, par exemple, tout à fait conscience que ce sont des acteurs et actrices professionnels qui sont en train de performer.

Pour moi, l’important est de discuter : que cela génère-t-il chez eux, y a-t-il d’autres représentations que celles proposées dans la pornographie qui existent, qu’est-ce qu’on ne verra jamais dans la pornographie (comme des poils pubiens ou quelqu’un qui a ses règles). Ce n’est pas anodin de voir des corps très normés, des pratiques exagérées… L’idée est de créer des espaces de discussion et de décrypter comment ils ont reçu les images.

Les établissements scolaires ont en principe l’obligation d’organiser trois séances annuelles d’éducation à la vie affective et sexuelle. Le 2 mars, SOS Homophobie, le Planning familial et le Sidaction poursuivaient l’Etat pour le contraindre à respecter la mise en œuvre de ces séances. Quel rôle peut jouer l’Education nationale dans cette situation ?

Malheureusement, la loi n’est pas du tout appliquée. Mais on sait, grâce aux sciences de l’éducation, que ces pédagogies sont efficaces quand elles sont mises en place. Plus largement, c’est une approche globale qu’il faudrait mener, au croisement de l’éducation à la sexualité et de l’éducation aux médias pour préparer les mineurs aux contenus qui circulent en ligne.

Pour l’instant, dans notre travail, on arrive souvent après que les jeunes ont visionné les images en question. Il faudrait intervenir en amont. Parfois, des jeunes, voire des très jeunes, se retrouvent exposés de manière accidentelle à des contenus pornographiques, ou parce qu’on leur a montré de telles images, ce qui peut être très choquant et traumatisant. Ils peuvent ressentir de la honte, de la culpabilité, avoir peur d’en parler aux adultes…

Une des choses qui peut aider est qu’il soit déjà au courant, en amont, que ces types de contenus circulent, ce qui ne veut absolument pas dire leur en montrer. Il faut organiser de manière très précoce des discussions sur ces choses-là : qu’est-ce qu’on peut trouver en ligne, comment on peut se sentir, à qui on peut en parler… Il faudrait, accrochez-vous, pouvoir parler de pornographie à des jeunes enfants. Alors là, pas simple… Il y a souvent une crainte, qui peut confiner à la panique morale, que si on leur parle d’un tel sujet, ils vont être incités à regarder. Je ne le pense pas. Mon parti pris est le suivant : puisque ces images circulent, ce qui est factuel, il faut agir sur le cadre de réception de ces contenus, en le préparant et en interrogeant en amont les représentations qui y sont véhiculées.

Au-delà de l’école, les parents peuvent se sentir démunis ou mal à l’aise pour parler de tels sujets. Que leur conseillez-vous ?

Les parents devraient également pouvoir être formés à ces sujets. Il arrive d’ailleurs qu’on les rencontre en amont des séances qui concernent les élèves. A ces occasions, on leur explique de quoi on parle, comment, on leur présente les outils pédagogiques, on leur explique les objectifs en matière de promotion de la santé… Plus on a ces connaissances, plus ça dégonfle cette espèce de bulle de panique qui est très liée à une question d’opacité, d’obscurité. *

On peut dédramatiser les choses en expliquant aux parents qu’il s’agit juste de donner à leurs enfants des clés pour être en bonne santé. Par ailleurs, il y a un très bon ouvrage, Corps, amour, sexualité : les 120 questions que vos enfants vont vous poser, de Charline Vermont [Albin Michel, 2022], adapté en fonction des différentes tranches d’âge des enfants.


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