par Apolline Le Romanser publié le 20 mai 2023
Le ministre de la Santé affirme vouloir en faire une priorité – jusqu’à l’ajouter dans l’intitulé de sa fonction – mais la prévention ne prend toujours pas en France. Ses résultats sont même«globalement médiocres», selon un rapport de la Cour des comptes de décembre 2021. Elle pourrait pourtant permettre d’éviter ou réduire le nombre et la gravité des maladies et handicaps, alors que le système de soins français suffoque. François Alla, professeur de santé publique et chef du service d’innovation en prévention du CHU de Bordeaux, insiste sur la nécessité de l’étendre au-delà du champ médical et de s’adapter aux besoins des territoires.
Pourquoi la France est-elle en retard en matière de prévention ?
Ce n’est pas vraiment un manque de moyens financiers, ni un manque de volonté. Le problème vient surtout de l’organisation. Si on veut que la prévention fonctionne, les éléments clés sont le repérage systématique des pathologies et facteurs de risques, ainsi que les prises en charge qui en découlent. Les deux coincent. Quasiment tous les Français ont au moins un contact par an avec le système de soins, mais les professionnels de santé ne posent pas systématiquement la question de la vaccination antigrippale, du dépistage des cancers, de l’alcool… Ce sont autant d’occasions de prévention perdues. Et même quand la question est posée, l’offre de soins disponible ne permet souvent pas une prise en charge en aval.
Aujourd’hui, parce qu’on manque de soignants, on se resserre sur les soins, et la prévention passe à l’as. Pourtant le retour sur investissement humain et financier est énorme : les facteurs accessibles à la prévention, tels que l’obésité, l’hypertension artérielle, le tabac, représentent environ la moitié de la charge de soins en France. Autrement dit, la moitié des médicaments, des lits d’hospitalisation, du temps médical est consacrée à des problèmes évitables.
Y a-t-il des mesures préventives plus efficaces que d’autres ?
Il faut d’abord se débarrasser de l’idée reçue que les comportements de santé sont des choix individuels et une question de volonté. S’il suffisait de transmettre la bonne parole, aucun médecin ne fumerait ! L’essentiel de la prévention se trouve dans l’aménagement urbain, les environnements de vie, de travail. Prenons l’usage d’écrans chez les enfants : les messages aux parents ne suffisent pas. Comment font ceux qui vivent dans un petit appartement, travaillent en horaires décalés, pour qui la télé sert aussi de nounou ? Mettez des espaces verts, des temps d’accompagnement professionnel, les enfants s’ils ont le choix iront spontanément faire de l’activité physique. De même chez les personnes âgées : à Nice, une expérimentation a montré que ce ne sont pas les messages informatifs mais l’aménagement d’espaces adaptés qui ont sorti les seniors de chez eux pour marcher. L’enjeu majeur se situe donc dans les politiques publiques, nationales et locales. La prévention en milieu de soins, c’est du bout de chaîne ou du rattrapage.
Mais les soignants ont aussi un rôle à jouer ?
Bien sûr, ils agissent par la prévention médicale – comme la vaccination ou le dépistage des cancers – et le rattrapage de situations générées par les environnements. Les professionnels de santé ont conscience que la prévention fait partie de leur activité et ont globalement envie d’en faire. Au niveau national, il ne se passe pas grand-chose, mais localement les idées fourmillent. Et partir du terrain, c’est la bonne solution.
Ce qu’il faudrait surtout développer, c’est «aller vers» les populations les plus vulnérables. Si on attend que les personnes nous sollicitent, viendront généralement celles avec le moins de besoins, notamment les classes sociales les plus favorisées. Pas les personnes pauvres, en situation de handicap, malades chroniques ou atteintes de troubles psychiques, sans-abri, incarcérées… Le mieux est donc de se déplacer, aller à leur rencontre pour leur apporter nous-mêmes la prévention.
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