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mardi 23 mai 2023

Chronique «Aux petits soins» Lors du Covid, la double peine des malades mentaux hospitalisés

par Eric Favereau   publié le 23 mai 2023

Dans une étude inédite portant sur tous les patients hospitalisés pour le Covid en France, des chercheurs bordelais montrent que plus d’un tiers d’entre eux souffraient d’un trouble mental. Et qu’ils avaient un risque de mourir sensiblement plus élevé que les autres patients.

L’information est passée quasi inaperçue, à l’exception du journal Sud Ouest qui en a fait état, dans son édition du 2 mai. Pourtant ce que révèle cette étude est impressionnant. Et dérangeant. Alors que l’on mettait en avant le diabète, l’âge ou le poids comme facteur de risque premier pour développer un Covid grave nécessitant une hospitalisation, le travail de Michael Schwarzinger – médecin en santé publique, responsable de l’unité hospitalière d’innovation en prévention au CHU de Bordeaux – révèle qu’un patient sur trois hospitalisés pour le Covid souffrait d’une maladie mentale (1). Et l’on peut noter également – non sans effroi – que cette étude montre que le risque d’en mourir était très supérieur pour ces malades-là, ce qui laisse à penser qu’ils ont été massivement exclus des services de réanimation.

«Vertige»

Dès lors, comment ne pas être sidéré par ce non-dit ambiant ? Son auteur le constate, rappelant la relative indifférence autour des personnes ayant des troubles psychiques, et cela alors que l’épidémie de Covid est donc officiellement déclarée comme circonscrite par l’OMS. Son étude est en tout cas incontestable, massive et solide. Elle a porté sur toutes les personnes hospitalisées pour le Covid depuis la première vague, soit sur les 465 750 cas symptomatiques de Covid-19 déclarés dans les hôpitaux français sur dix-huit mois. Constat : «Un tiers ont été enregistrés avec des antécédents de troubles mentaux.» L’anxiété et les troubles de l’humeur étant les diagnostics les plus fréquents. En d’autres termes, être atteint d’un trouble mental était un des facteurs de risque le plus important pour être hospitalisé. Plus grave, «près de la moitié (45,2 %) des 103 890 décès liés au Covid-19 ont concerné des patients souffrant de troubles mentaux préexistants», c’est-à-dire schématiquement que le risque de décès était beaucoup plus élevé que chez les autres personnes hospitalisées, et cela quel que soit le trouble mental (deux fois plus par exemple chez les schizophrènes).Le travail de cette équipe de santé publique de l’université de Bordeaux est le plus important jamais réalisé sur ce thème, et les résultats sont d’autant plus troublants qu’ils se sont confirmés lors de toutes les vagues de l’épidémie de Covid.

«Oui, ces chiffres peuvent donner le vertige, nous a expliqué Michael Schwarzinger. On a beaucoup parlé d’autres troubles, obésité, diabète, etc. Mais on est donc passé à côté de quelque chose de massif.» Certains objecteront que l’on parle de troubles mentaux légers, ce qui fausserait les jugements ; or ce n’est pas franchement le cas dans la mesure où ce sont toujours des diagnostics posés à l’hôpital. Comment dès lors expliquer cette surreprésentation ?«Nous n’avons que des hypothèses. Peut-être y a-t-il des troubles associés ? L’âge, la morbidité, ont dû jouer. Mais cela pointe de toute façon un profil de vulnérabilité.» Plus grave est le second constat, avec un risque plus fort de décès. L’explication est là, à fleur de mots : ils ont été peu admis en réa. «Lors de toutes les vagues, on a le même phénomène, ils avaient une faible chance d’aller en réanimation, analyse le chercheur. On fait des hypothèses. On sait que, dans les recommandations des sociétés de réanimation, on demande de ne pas réanimer systématiquement les plus âgés, ceux souffrant de comorbidité, mais aussi ceux souffrant de démence.» Pour le reste, on devine aisément les raisons de ces non-admissions en réanimation en situation de tri et de manque de places. Exemple : on sait que les malades mentaux sont souvent isolés, bénéficiant de moins de support des proches. «Quand vous arrivez aux urgences et que se pose la question de la réa, on sait ce qui se passe en situation de tri. Quand deux patients étouffent, si l’un a de la famille et si l’autre n’en a pas, et qu’il y a peu de lits, le choix s’impose. Les mauvais vieux réflexes reviennent, on ne choisit pas les malades qui posent des problèmes», suggère le chercheur.

«Groupe vulnérable»

Dans cette étude, surgissent d’autres non-dits. Ainsi le constat que beaucoup de ces malades ont attrapé le Covid à l’hôpital : plus de 15 % des malades mentaux hospitalisés ont été infectés par le Covid durant leur hospitalisation. Des constats qui sont indépendants de facteurs régionaux. «Ce n’est spécifique ni à l’Ile-de-France ni au Grand-Est.» Et ce chercheur de faire part de la discussion qu’il a eue avec une psychiatre d’Ile-de-France, qui disait qu’elle avait dû se battre pour qu’un de ses malades soit accepté en réanimation, et qu’un autre puisse continuer d’être réanimé. «Et ce n’était pas un cas unique», ajoute-t-il.

Dans un éditorial accompagnant la publication de ce travail, la revue s’alarme fortement de ces discriminations. Rappelant donc que «presque toutes les catégories de troubles mentaux de l’étude sont associées à un risque de mortalité plus élevé et à des taux de soins intensifs plus faibles». Puis : «Du point de vue de la santé publique, les politiques de lutte contre la Covid-19 et de soins de santé doivent reconnaître explicitement les personnes vivant avec des troubles mentaux comme un groupe vulnérable… L’étude soulève des questions importantes en matière de droits de l’homme. Les personnes vivant avec des troubles mentaux sont victimes de stigmatisation et de diverses atteintes à leurs droits. Le fait qu’on leur refuse la fourniture de soins liés à la Covid-19 et d’interventions vitales est un exemple d’une telle discrimination. Cela va à l’encontre du droit généralement accepté au meilleur état de santé possible, et même du droit à la vie lui-même.»

(1) «Troubles mentaux, gestes vitaux liés au Covid-19 et mortalité en France : une étude de cohorte nationale», article paru dans Plos Medicine


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