par Marlène Thomas publié le 25 mai 2023
Révolution féministe pour certaines, menace sur l’égalité professionnelle pour d’autres, le congé menstruel pour les femmes souffrant de règles douloureuses fait l’objet de toutes les attentions en France depuis la généralisation de ce dispositif en Espagne en février. Elisabeth Borne y est allée à tâtons fin avril : le gouvernement réfléchit à «encourager» et «accompagner» les initiatives comme celles du groupe Carrefour ou de la mairie de Saint-Ouen. Mais à gauche, dans le sillage de l’Espagne, les parlementaires multiplient les propositions de loi (PPL).
Après avoir inscrit cette mesure dans son programme présidentiel, le PS a deux textes au feu, un au Sénat et un à l’Assemblée. De son côté, le groupe Ecologiste va déposer sa PPL ce vendredi 26 mai. Le député Génération·s Sébastien Peytavie dévoile à Libé le contenu de ce texte construit avec les parlementaires EE-LV Marie-Charlotte Garin et Sandrine Rousseau sur la reconnaissance de la santé menstruelle au travail.
PS et EE-LV font partie de l’alliance Nupes et les socialistes ont déposé leur texte sur le congé menstruel. Pourquoi ne pas avoir uni vos forces ?
Ce n’est pas un texte contre l’autre. Si l’un des textes trouve son chemin, on le soutiendra et on en sera signataires. Nous montrons que plusieurs partis s’emparent du sujet. Depuis l’annonce espagnole, des collectivités locales ont décidé de l’expérimenter, quelques entreprises aussi. Il semble y avoir une maturité dans la société pour avancer.
Selon un sondage Ifop, 68 % des Françaises soutiennent la création d’un tel congé. Comment proposez-vous de l’encadrer ?
De nombreuses femmes se retrouvent aujourd’hui avec des règles incapacitantes. Elles ne peuvent pas aller travailler ou se voient obligées de trouver des stratégies pour ne pas être pénalisées. La question est simple : pouvons-nous laisser ces femmes dans de telles situations sans y répondre ? Non. Elles peuvent actuellement avoir recours aux arrêts maladie mais avec des jours de carence, ce qui a des conséquences financières importantes. Le but est donc d’arriver à lever cette double pénalité. Nous proposons d’instaurer un arrêt de travail pour menstruations incapacitantes de 13 jours par an – sans jour de carence – à poser librement. Un certificat médical, à renouveler chaque année par un médecin généraliste, un spécialiste, une sage-femme ou médecin du travail, ouvrira ce droit dans le privé comme le public. Nous n’avons pas voulu poser de limite mensuelle. Une femme peut avoir des règles plus douloureuses que d’habitude sur un mois, avoir besoin de trois jours et être en congés au prochain cycle.
Les femmes atteintes d’endométriose sont donc directement concernées mais qu’en est-il des autres ?
L’idée est en effet d’aller au-delà des femmes atteintes d’endométriose. Nous souhaitons que les femmes puissent parler de leurs douleurs à leur médecin et que la médecine du travail les prenne aussi en compte. Le tabou reste fort et les médecins ne posent pas ou très peu la question. Un certain nombre de femmes ne se voient pas proposer de traitement. Cela faisait d’ailleurs partie des inquiétudes de certaines féministes : que le congé menstruel ferme le dialogue et que la science n’avance plus. Je pense qu’au contraire, le milieu médical sera obligé de les écouter et de répondre à leurs douleurs.
Qui aura accès à ce certificat ? Faudra-t-il justifier de la raison de l’arrêt ?
L’employeur n’aura pas accès à ce certificat, il sera directement transmis à la sécurité sociale. Le recours à un arrêt de travail permet d’anonymiser les raisons médicales, ce qui prévient des discriminations supplémentaires. Si pour certaines c’est une bataille politique et féministe, de revendiquer d’avoir ses règles, d’autres n’ont pas envie que leurs collègues ou employeurs soient au courant. Et il s’agit bien d’un arrêt de travail «classique» et non d’un congé, car ce n’est pas un loisir mais un besoin de santé.
Comment convaincre les employeurs du bien-fondé de ce dispositif ?
Beaucoup nous ont dit : «Je vais me retrouver avec une femme absente du jour au lendemain. Comment je vais gérer ?» Sauf que les femmes en question, quand elles sont pliées en deux, elles prennent un arrêt et l’employeur n’a strictement aucune idée si c’est pour un rhume ou un enfant malade. C’est une question de santé publique. Les règles douloureuses s’accompagnent parfois de migraines, de nausées ou de fatigue. Est-ce que ces personnes peuvent travailler dignement dans ces conditions ? La réponse est non. C’est assez extraordinaire de voir les présupposés selon lesquels celles qui bénéficieraient d’un congé menstruel ne feraient rien. J’entends des personnes râler en disant : «Elles ont ce congé en plus, alors qu’elles ont déjà le congé maternité !» La réalité est qu’une femme ayant donné naissance à un enfant a besoin de ce temps mais va s’engager pleinement à son retour parce qu’elle a aussi envie de mener sa vie professionnelle. Ce n’est pas parce qu’on est mère, qu’on a ses règles et qu’on a recours à un congé menstruel qu’on est feignante.
Vous proposez d’autres possibilités d’aménagement de poste comme le télétravail…
C’est une manière de répondre à la diversité des situations mais il ne faut pas le systématiser. Quand une femme est pliée de douleur, elle est en incapacité de travailler, chez elle ou non. Il faut être vigilant. Le télétravail est, en outre, une possibilité que nombre d’emplois n’offrent pas. Celles qui ont le moins de revenus, sont le moins diplômées, doivent actuellement poser un arrêt maladie et se retrouvent les plus pénalisées financièrement. Les femmes précaires se retrouvent encore une fois en première ligne. Je pense, par exemple, à une caissière en supermarché, se retrouvant à soulever les packs d’eau avec la douleur, du monde, du bruit. C’est compliqué et elle ne peut pas télétravailler.
Plusieurs collectifs féministes s’inquiètent face au risque de renforcer les discriminations à l’embauche et les écarts de salaire. Quelles protections mettre en place ?
La discrimination salariale existe mais peut-on renoncer à instaurer cet arrêt pour ces nombreuses femmes en souffrance juste parce qu’il y a un risque de discrimination ? Pour moi, ce n’est pas entendable. Je pense qu’il y a deux combats à mener : celui de la douleur et celui des discriminations. Nous avons les outils pour les déceler et mettre en place des pénalités. Concernant les discriminations à l’embauche, nous avons prévu que ce dispositif soit intégralement pris en charge par la Sécurité sociale. S’il avait un coût important pour les entreprises, nombre d’entre elles n’embaucheraient pas de femmes pour ne pas y être confronté. Ce texte comporte aussi tout un volet pour mettre la santé menstruelle et gynécologique au cœur du dispositif, qu’on puisse en parler dans les entreprises en instaurant notamment un cycle de sensibilisation obligatoire. Il faut que ces sujets soient moins stigmatisés.
Faut-il aller plus loin, par exemple en généralisant le congé pour les interruptions spontanées de grossesse comme le prévoit le texte socialiste ?
Un texte sur les fausses couches a déjà été rejeté. Je pense qu’on a plus de chance d’avoir une victoire sur le congé menstruel. Plus on ajoute des éléments, plus on lève des boucliers, notamment à droite. Dans l’absolu, j’aimerais aussi inclure à cette PPL la ménopause, qui peut avoir des conséquences importantes sur la santé des femmes pendant plusieurs années. Mais, quand on voit les discriminations à l’embauche déjà subies par les femmes seniors, cela ouvrirait encore un autre sujet… A défaut d’être majoritaires à l’Assemblée, nous avons retenu l’option d’un texte basique. Si on arrive à la faire passer, on aura le pied dans la porte pour aller chercher d’autres victoires car traiter sérieusement la question de la santé des femmes au travail implique d’aller plus loin.
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