Par Minh Dréan Publié le 23 mai 2023
Les syndicats du secteur appellent à une manifestation, mardi 23 mai. Un rapport du député (Renaissance) Robin Reda alerte sur la difficulté du système de santé scolaire à répondre aux besoins grandissants des élèves en raison d’une pénurie de personnel.
« La santé scolaire est en train de s’effondrer ! », martèle Gwenaëlle Durand, secrétaire générale du SNIES-UNSA, l’un des deux syndicats des infirmières scolaires. Cette organisation appelle, avec le SNICS-FSU, à une marche blanche, mardi 23 mai, pour « sauver la santé à l’école ». Les deux syndicats demandent, entre autres, la création de 15 000 postes, une revalorisation salariale et une formation spécifique sanctionnée par un master.
« Il est temps que nos revendications soient prises en compte, sinon on va se retrouver dans une situation catastrophique », s’alarme Mme Durand.
Un système pas à la hauteur : tel était, aussi, le ton du rapport d’information de la commission des finances sur la « médecine scolaire et la santé à l’école », présenté le 10 mai, devant l’Assemblée nationale, par le député (Renaissance) de l’Essonne Robin Reda. Ce document met en évidence des « besoins grandissants » – avec la montée en puissance de l’école inclusive, qui nécessite une individualisation des parcours scolaires, la crise sanitaire et le mal-être des élèves qui s’accroît – et la difficulté du système de santé scolaire à y répondre, en raison d’un « manque de personnel ».
Disparités géographiques
En dix ans, le nombre de médecins scolaires a chuté de 20 %. En 2023, il y aurait environ 900 médecins scolaires pour 60 000 établissements et plus de 12 millions d’élèves. « Depuis plusieurs années, le rendement du concours oscille entre 30 % et 50 % », faute de candidats en nombre suffisant, avance le ministère de l’éducation nationale. L’effectif des infirmières et infirmiers, lui, reste stable, à environ 7 700, mais le taux de rendement au concours qui s’élevait à 100 % en 2018 s’est dégradé. En 2022, il a manqué 58 candidats admis au concours pour 395 postes offerts, constate le rapport.
Des disparités importantes existent selon les territoires. « La carte de la pénurie de médecins scolaires recoupe celle des déserts médicaux et s’ajoute à la crise d’attractivité, au sens large, de l’éducation nationale », précise M. Reda. Le rapport cite les chiffres de la Cour des comptes qui établissait, en 2018, que le nombre moyen d’élèves par équivalent temps plein (ETP) de médecin de l’éducation nationale, dans chaque département, était compris entre 6 464 élèves dans le Lot et 99 370 en Dordogne. Pour les infirmières et infirmiers, la Cour des comptes avait noté un nombre d’élèves par ETP allant de 680 dans le Cantal à plus de 2 000 à Mayotte. Au niveau national, les moyennes se situeraient à 12 800 élèves par médecin et 1 303 élèves par infirmier.
« Cela fait des années que nous alertons sur le risque de pénurie d’infirmières », avance Saphia Guereschi, secrétaire générale du SNICS-FSU qui plaide pour au moins une infirmière pour 500 élèves. « Nos collègues menacent de partir alors que c’est un métier passionnant, où l’on participe à la réussite scolaire des élèves », ajoute-t-elle.
Valentine (qui a requis l’anonymat) a fait ce choix de carrière pour être au plus près des jeunes. « Finalement, je suis surtout sur la route », regrette cette infirmière qui travaille, du lundi au jeudi, dans deux collèges normands et consacre sa journée du vendredi aux dépistages dans une dizaine d’écoles primaires. La quinquagénaire a aussi vu les besoins des élèves s’accroître. « J’ai entre quarante et cinquante passages par jour, avec 20 % des jeunes qui viennent pour des raisons de mal-être psychique. Ça s’est amplifié avec le Covid, la guerre en Ukraine, la crise climatique… »
« Les élèves nous voient tous les jours, ils nous font confiance, car nous sommes présentes sur leur lieu de vie, surtout à l’internat, rappelle Sandie Cariat, infirmière dans l’Hérault, dans un établissement de 900 élèves. Ma crainte, c’est qu’en raison de la pénurie de médecins scolaires il y ait un transfert de tâche qui se ferait au détriment de nos missions de prévention de suivi et d’accompagnement des élèves », confie l’infirmière qui viendra manifester à Paris, le 23 mai, avec une dizaine de collègues.
« J’envisage de partir »
Si le rapport « La médecine scolaire et la santé à l’école » déplore le manque d’infirmières, le constat est encore plus alarmant pour les médecins scolaires. En cause : une démographie médicale en baisse et une désaffection de longue date des étudiants en santé pour les disciplines relevant de la médecine de prévention. « C’est aussi le résultat d’une rémunération trop faible [environ 2 000 euros net mensuels en début de carrière] par rapport à d’autres médecins fonctionnaires et des conditions de travail dégradées », admet M. Reda.
Ces professionnels de santé ont un rôle central dans le premier et le second degré. Ils rédigent les plans d’accompagnement individualisé pour les maladies chroniques (diabète, épilepsie…), réalisent les diagnostics des troubles d’apprentissage ou les confirment. Ils sont aussi chargés de la visite médicale obligatoire pour les enfants de 6 ans. « En 2022, moins de 20 % des enfants ont passé cette visite », affirme M. Reda.
« Dans mon secteur, j’ai environ 2 500 enfants de 6 ans. Une visite dure une heure, donc ça fait 2 500 heures… Je n’ai même pas assez d’heures travaillées sur l’année », s’agace Mechtilde Dippe, médecin dans l’Eure-et-Loir.
Dans sa zone d’activité, elles ne sont plus que deux médecins scolaires. Chacune se retrouvant avec environ 40 000 élèves. La médecin de 46 ans a commencé ce travail il y a douze ans : à l’époque, il y avait encore six médecins scolaires dans le département. « Les familles attendent près de vingt-quatre mois pour avoir un plan d’accompagnement spécialisé… C’est insensé. » Alors la docteure Dippe s’interroge sur la suite : « J’envisage de partir… J’ai l’impression de ne plus réussir à faire mon métier, je fais surtout des mails et des analyses de dossier, je ne vois presque plus les enfants ou les familles. »
Une désertion qui inquiète Raphaëlle Pasquier, en Normandie. « Sur mon secteur, nous ne sommes que quatre, pour seize postes ouverts, et nous avons toutes plus de 60 ans… l’avenir est une grande source d’inquiétude », se désole cette médecin. En 2023, l’âge moyen des médecins scolaires s’établissait à 55 ans, selon le ministère.
« L’écart s’est creusé avec les autres médecins »
Le ministre de l’éducation nationale, Pap Ndiaye, a reconnu une situation « pas satisfaisante », lors de la présentation du rapport, et plaide pour une « refonte du système de santé scolaire ». Le ministère dit vouloir développer la formation spécialisée transversale « médecine scolaire », ouverte aux internes en médecine depuis la rentrée 2021, et indique avoir revalorisé les médecins en 2021 (augmentation forfaitaire annuelle de 1 700 euros) et en 2022.
Une affirmation que nuance Jocelyne Grousset, cosecrétaire générale du Syndicat national des médecins scolaires et universitaires : « Il y a eu une revalorisation, mais, après vingt ans sans rien, l’écart s’est creusé avec les autres médecins. » Le ministère assure néanmoins qu’une nouvelle étape de revalorisation est prévue en 2023 « dans le but de faire converger les indemnités des médecins de l’éducation nationale vers celles des autres médecins de la fonction publique de l’Etat ».
Une revalorisation des infirmières et infirmiers est aussi engagée, explique-t-on rue de Grenelle. Par ailleurs, le ministère se réjouit d’une hausse de 22 % des postes proposés aux concours en 2023. « Cela ne compense même pas les départs à la retraite », corrige Mme Guereschi. « On ne croit plus aux discours politiques, confie-t-elle. On nous dit que l’école et la santé sont des chantiers prioritaires, mais, la vérité, c’est que la santé scolaire cumule tous les maux : elle est devenue le parent pauvre de la santé. »
Un autre rapport sur le devenir de la médecine scolaire, réalisé par les trois inspections générales (celle de l’administration, celle des affaires sociales et celle de l’éducation, du sport et de la recherche) est attendu en juin dans le cadre de la loi 3DS, adoptée en février 2022. Cette loi, qui porte sur la différenciation, la décentralisation et la déconcentration, prévoyait le transfert de la médecine scolaire au département. Dans un communiqué, le Snics-FSU a rappelé son opposition au projet et son souhait « de rester sous la hiérarchie des chefs d’établissement et sous la responsabilité pleine et entière du ministre de l’éducation ». Le rapport sera l’occasion « d’ouvrir le débat et de présenter des mesures de revalorisation », assure, de son côté, le ministère.
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