par Virginie Ballet publié le 22 mai 2023
Elle avait commandé un «un bilan» et des «préconisations». Début septembre, à l’occasion de l’anniversaire du Grenelle des violences conjugales, la Première ministre, Elisabeth Borne, annonçait le lancement d’une mission parlementaire visant à «parvenir à une action judiciaire lisible, réactive, performante». A l’issue de plus de sept mois de travaux et près de 300 auditions, les deux autrices de ces travaux remettent leurs conclusions ce lundi au gouvernement. Au fil de près de 200 pages, la députée Renaissance du Val d’Oise Emilie Chandler et la sénatrice Union centriste de l’Yonne Dominique Vérien dressent un état des lieux assorti d’une soixantaine de recommandations pour améliorer le traitement des violences intrafamiliales. «Les attentes restent fortes d’un dispositif judiciaire plus performant», écrivent les élues, qui espèrent une baisse des féminicides et des violences en général, une «meilleure protection des victimes», un «meilleur accompagnement tout au long d’une procédure souvent obscure car trop complexe, ainsi qu’une prise en charge des auteurs qui permettrait un recul de la récidive».
Réclamée de longue date par plusieurs associations et acteurs de terrain, la création de tribunaux spécialisés, inspirée de ce qui se fait en Espagne, a été expertisée mais vite écartée, au profit du déploiement de «pôles spécialisés» dans toutes les juridictions. «Le modèle espagnol est très tentant sur le papier, sauf qu’il pose en réalité un problème d’accès : ces tribunaux sont plutôt déployés dans des grandes villes. Les pôles spécialisés permettent à notre sens davantage d’efficacité et de rapidité dans la réponse judiciaire, ainsi qu’une meilleure circulation de l’information entre les différents acteurs», détaille la députée Emilie Chandler, auprès de Libération.Ces derniers mois, l’exécutif avait à plusieurs reprises exprimé sa réticence à dupliquer le modèle espagnol tel quel. Le ministère de la Justice confirme que cette piste n’a à ce stade pas été retenue, au bénéfice de pôles spécialisés, comme préconisé dans ce rapport parlementaire.
La formation, axe «majeur et prioritaire»
Concrètement, chaque juridiction disposerait d’une «équipe dédiée, spécialisée et formée aux violences intrafamiliales, ainsi que d’une instance locale de coordination», détaille la Chancellerie, qui dit cibler un déploiement de ces pôles «dans les prochains mois». Sur le volet des formations, point crucial pointé par le rapport parlementaire, qui appelle à les renforcer pour les forces de l’ordre comme pour les acteurs judiciaires, le ministère abonde et juge cet axe «majeur, prioritaire». Une méthodologie devrait être «prochainement» mise en œuvre pour que des formations obligatoires soient dispensées au niveau local, accessibles aussi à tous les acteurs impliqués, des avocats aux associations d’aide aux victimes.
Ces mesures seront déployées grâce à l’embauche annoncée par le garde des Sceaux de 1 500 magistrats et autant de greffiers d’ici à 2027, et à la fonction tout juste créée d’«attachés de justice»,destinée à des contractuels. Assez pour faire face ? «On plaide pour davantage de professionnels et de moyens, à tous les niveaux», insiste Emilie Chandler. Dans leurs rapports, les parlementaires observent ainsi qu’entre 2017 et 2021, «le poids des violences conjugales dans l’activité juridictionnelle a doublé, de 4 à 8 %». Le nombre de personnes mises en cause dans des affaires de violences conjugales est passée de 82 000 en 2017 à près de 142 000 en 2021, relèvent-elles encore. Mais environ un tiers de ces affaires (32 %) s’avère non poursuivable, le plus souvent en raison d’une infraction «absente ou mal caractérisée». «Le délai de traitement des affaires est toujours trop long pour l’avocate que je suis», alerte encore la députée du Val d’Oise. Pour autant, ces travaux relèvent que le nombre de condamnations d’auteurs de violences conjugales sur déferrement (comparution immédiate, reconnaissance préalable de culpabilité…) a quasiment triplé entre 2017 et 2021, passant de 8 632 à 24 209, signe que «la situation des auteurs est prise en compte sur le plan pénal beaucoup plus rapidement qu’auparavant».
Quid du statut de pupilles de la nation ?
La Chancellerie se félicite quant à elle de la «croissance exponentielle» dans le déploiement des outils de protection des victimes, tout en se disant «capable d’aller plus loin». Ainsi, au 31 décembre, 4 840 téléphones grave danger (qui permettent à une victime d’alerter les forces de l’ordre via un système de téléassistance) étaient déployés, dont les trois quarts étaient attribués, soit cinq fois plus que début 2020. En avril, un millier de bracelets anti-rapprochement étaient quant à eux attribués. Le dispositif, inspiré de l’Espagne et généralisé en avril 2021, repose sur la définition d’un périmètre d’alerte entre une victime et son ex-conjoint, qui, s’il est franchi, enclenche un système d’alarme. «1 856 victimes ont bénéficié de cette protection» au total, depuis sa généralisation, selon les services du ministre de la Justice. En 2022, l’outil a donné lieu à 3 634 interventions de la police ou des gendarmes, contre 1 046 en 2021. En juin, des bracelet anti-rapprochement nouvelle génération devraient faire leur apparition, plus discrets et équipés d’une batterie disposant d’une meilleure autonomie.
Enfin, comme l’avait annoncé la Première ministre début mars, la piste d’une ordonnance de protection possiblement délivrée en vingt-quatre heures pour les situations les plus urgentes – contre six jours actuellement – est actuellement étudiée, et pourrait faire l’objet d’une proposition de loi «d’ici à la fin de l’année». Délivrée par un juge aux affaires familiales, ce document permet entre autres de fixer des interdictions d’entrer en contact avec la victime, de paraître dans certains lieux, et de fixer les modalités relatives à l’exercice de l’autorité parentale. En 2021, il en a été accordé 3 531, contre 1 392 en 2017.
Dans leur rapport, les deux parlementaires exhortent aussi à accorder le statut de pupilles de la nation aux orphelins de féminicide, estimant qu’il s’agirait d’un «acte politique fort de reconnaissance de leur statut de victime». «Ces enfants, qui n’ont rien demandé, se retrouvent bien souvent placés en famille d’accueil ou en foyer. J’estime qu’il faut que la République les accompagne pour les aider à grandir au mieux, pourquoi pas en leur fournissant un accès à des formations d’excellence», plaide Emilie Chandler. Ces dernières années, plusieurs associations et proches de victimes se sont mobilisés pour sensibiliser au sort des enfants dont un parent a tué l’autre. «C’est un chantier sur lequel on travaille activement»,rétorque-t-on au ministère de l’Egalité, sans toutefois privilégier l’accès au statut de pupille de la nation. Des consultations sont actuellement menées avec des proches de victimes, pour travailler à un accompagnement «plus large», comprenant un suivi du psychotrauma, voire une aide éducative et matérielle.
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