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lundi 22 mai 2023

Observatoire du sans-abrisme : «Certains chiffres, très négatifs sur l’action de l’Etat, sont difficiles à avoir»

par Léna Coulon    publié le 19 mai 2023

Le directeur des Etudes à la Fondation Abbé-Pierre salue le lancement d’un Observatoire du sans-abrisme, auquel participera son association. Mais rappelle que «l’observation appelle l’action», quand 330 000 personnes sont sans domicile en France.

Le ministre du Logement, Olivier Klein, a confirmé mercredi 17 mai, le lancement d’un Observatoire du sans-abrisme, destiné à améliorer le recensement des personnes sans domicile, avec le concours de la Fondation Abbé-Pierre, du Secours catholique et de l’association Aurore.

Manuel Domergue, directeur des Etudes de la Fondation Abbé-Pierre se réjouit que le sujet soit «pris au sérieux» par le ministère, mais rappelle que les chiffres doivent servir à agir. Avec comme priorités l’ouverture de places d’hébergement d’urgence, le respect des quotas d’accueil des plus précaires en HLM et la régularisation des sans-papiers, dont la situation administrative expose au mal-logement.

Que pensez-vous de la création d’un Observatoire du sans-abrisme ?

C’est plutôt positif. Le sujet est pris au sérieux par le ministère. Pour pouvoir agir, il faut des données précises, ville par ville et suivies dans le temps, sur les 330 000 personnes sans domicile en France, dont environ 30 000 sont sans-abri, ni hébergés à l’hôtel ni en centre d’accueil. Un Observatoire, ça va dans le bon sens, mais il ne faut pas que cela tourne en un outil de communication. On sait qu’il sera cogéré par des associations et piloté par la Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement. On ne fait pas de procès d’intention, ce sont des gens très engagés, mais ils sont amenés à faire la promotion de la réussite de leur politique. C’est normal. Mais certains chiffres, très négatifs sur l’action de l’Etat, sont difficiles à avoir.

Quelles données sont difficiles à obtenir aujourd’hui ?

On a notamment du mal à savoir le nombre de personnes qui appellent le 115 et sont laissées sans solution. La raison, c’est que ces «demandes non pourvues» sont un aveu d’échec pour l’Etat, qui a failli à son obligation légale de fournir à toute personne un accueil inconditionnel en hébergement. Certes, les méthodes de comptage diffèrent selon les départements, certains [centres du 115, ndlr] demandent aux personnes de rappeler plusieurs fois, ce qui fausse le taux de rejet par rapport au nombre d’appels. Mais le chiffre absolu de personnes laissées sans solution, c’est quelque chose de réel. On sait qu’environ 1 500 enfants sont refoulés avec leurs parents chaque soir. Il nous faut des remontées plus précises. Avec un seul but : agir. L’observation appelle l’action.

Quelles sont les actions prioritaires pour lutter contre le sans-abrisme et le mal-logement ?

Déjà, tout faire pour assurer des places d’hébergement d’urgence. Nous recevons des signalements dramatiques, comme récemment à Valenciennes celui d’une famille avec un enfant de deux ans, une mère enceinte de sept mois, qui vivent dans un local poubelle. Valenciennes, ce n’est pas le festival de Cannes : il y a des hôtels libres à droite, à gauche. A plus long terme, on essaye de sortir de ces solutions d’urgence, qui coûtent très cher à l’Etat et sont invivables.

Des initiatives positives ont été lancées sous le quinquennat précédent, notamment sur l’accès au logement social des personnes sans domicile, qui a augmenté de 50%. Poussés par l’Etat, les bailleurs sociaux ont fait un effort. Aujourd’hui, environ 6% des attributions HLM leur sont destinées. Mais certains ne respectent pas les quotas de personnes prioritaires, dont font partie celles sans domicile. Savoir quels bailleurs ne respectent pas la loi permettrait de faire pression sur eux. Il faut aussi agir sur l’une des causes structurelles du sans-abrisme ou du mal-logement : l’absence de papiers et les difficultés d’accès à un titre de séjour. Il faut des régularisations. La précarité administrative entrave l’accès à un logement, un travail, aux allocations pour de nombreuses familles.

Cette demande de régularisation ne s’oppose-t-elle pas à l’augmentation des expulsions promise par Gérald Darmanin, qui pourrait défendre sa loi Immigration cet été ?

Certes, le versant répressif de ce projet de loi nous inquiète. Mais la proposition de faciliter l’accès au titre de séjour pour les métiers en tension est positive. En tout cas, c’était une forme d’ouverture. L’approche est très utilitariste et contestable, mais elle offrirait à des milliers de personnes l’accès à des papiers sans avoir à dépendre du bon vouloir de leur patron ou de la préfecture. Beaucoup sont dans des situations précaires, et vivent avec le risque de se retrouver à la rue. D’autres sont à hôtel ou en centre d’hébergement. Avoir des papiers facilite l’accès à un logement stable.

Un autre timing interroge : cet Observatoire du sans-abrisme est lancé après le vote, début avril à l’Assemblée, de la proposition de loi «antisquat» de la majorité, qui facilite les expulsions locatives, alourdit les sanctions contre les personnes en squat et contre les locataires en défaut de paiement de loyer…

C’est complètement contradictoire. Cette loi a été portée par «l’aile Darmanin» de la majorité, dans une approche répressive, stigmatisant les pauvres et défendant la propriété sans prise en compte du droit au logement. Tout le monde n’est pas sur cette ligne. Mais au final, peu importent les états d’âme des uns et des autres : la loi est en passe d’être adoptée [elle doit passer en seconde lecture au Sénat]. Lancer cet Observatoire après avoir défendu cette loi, c’est choquant. On va mettre des gens à la rue puis après on va bien les observer, bien les compter ? Ce n’est pas la première contradiction. Les défaillances sur le logement sont aussi le résultat de choix budgétaires, comme la ponction de milliards d’euros sur les APL. Désormais, on attend les résultats du Conseil national de la refondation sur le logement. La restitution des travaux a été reportée en juin, car le gouvernement n’était pas prêt. On leur laisse le bénéfice du doute, mais il y a tellement de procrastination sur le sujet qu’on voit bien que ce n’est pas du tout une priorité pour le gouvernement.


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