par Sylvain Mouillard et Ysé Rieffel publié le 23 mai 2023
Carène Mezino avait 37 ans et exerçait comme infirmière au centre hospitalier universitaire de Reims, dans la Marne. Lundi 22 mai en début d’après-midi, un homme de 59 ans a fait irruption dans l’unité de la médecine du travail, au sein de l’hôpital Maison-Blanche, situé dans le sud de la ville, et l’a poignardée alors qu’elle changeait de blouse dans les vestiaires. Il s’en est aussi pris à une secrétaire médicale de 56 ans. Gravement touchée, Carène Mezino est décédée dans la nuit de lundi à mardi. Les jours de sa collègue, grièvement blessée, ne sont a priori plus en danger. Ce mardi, la Première ministre, Elisabeth Borne, a exprimé la «reconnaissance de la Nation» envers la soignante, ainsi que des agents publics tués ces derniers jours, notamment les trois policiers de Roubaix morts dimanche dans un accident de la route. «Leur engagement au quotidien est essentiel au bon fonctionnement de notre pays», a-t-elle souligné. Ces deux événements sont toutefois de nature différente. A Reims, le profil du suspect, rapidement interpellé alors qu’il prenait la fuite, met en lumière la difficile prise en charge des personnes atteintes de troubles psychiatriques.
L’homme, placé en garde en vue pour une durée maximale de quarante-huit heures et qui aurait agi «sans mobile apparent»,selon le procureur de la République de Reims, Matthieu Bourrette, est aujourd’hui visé par une enquête pour «assassinat». Les premiers éléments recueillis montrent que ce n’est pas la première fois qu’il s’en prend à des personnels soignants. Selon les informations du quotidien régional l’Union, il aurait commis en juin 2017 une «agression au couteau au préjudice de plusieurs personnes, notamment des personnels de santé, au sein d’un établissement de la région de Vitry-le-François spécialisé dans l’accompagnement et l’insertion par le travail de personnes vivant avec un handicap psychique». Le Parisien précise que les faits se seraient «produits au sein de la partie foyer de cet établissement associatif où il résidait depuis plus de vingt ans».
Les lieux de l’attaque interrogent
L’individu est alors mis en examen et l’enquête dure plusieurs années. En juin 2022, un juge d’instruction rend une «ordonnance de transmission de pièces en vue de saisir la chambre de l’instruction de la Cour d’appel pour qu’il soit statué sur une éventuelle irresponsabilité pénale en raison de l’abolition de son discernement», comme l’a indiqué mardi soir le procureur de la République de Reims. Le magistrat avait auparavant précisé que l’individu «semble souffrir de troubles sévères et fait l’objet depuis plusieurs années d’une mesure de curatelle renforcée». Un dispositif qui prévoit notamment que le curateur gère le compte bancaire de la personne à protéger et s’occupe de régler ses dépenses.
La chambre d’instruction de la cour d’appel de Reims devait se prononcer sur le dossier judiciaire vendredi 26 mai. Pour retenir l’éventuelle irresponsabilité pénale du mis en cause, voire pour«statuer sur des mesures de sécurité susceptibles d’être prises». En l’occurrence, la chambre de l’instruction aurait pu décider une hospitalisation sous contrainte dans un service de soins psychiatriques. Voire, dans les cas les plus graves, dans une unité pour malades difficiles (UMD), au nombre de dix en France. Sollicité par Libération, le procureur de la République de Reims n’a pas souhaité faire davantage de commentaires. L’homme est passé à l’acte avant cette audience du 26 mai, dont on ne sait si elle sera maintenue. Les lieux où il a commis son attaque interrogent. Il s’est en effet présenté, sans rendez-vous, dans une unité située «à côté du service de psychiatrie où [il] était suivi», a affirmé à l’AFP Sandrine Calvy, responsable CGT santé dans la Marne.
«Abandon» de l’Etat
Contacté par Libération, le psychiatre et expert judiciaire Daniel Zagury estime que l’attaque de Reims soulève plusieurs questions :«Celles de l’état de la psychiatrie, de l’irresponsabilité pénale. Mais aussi de la lenteur de la justice.» Et de s’interroger au sujet du suspect : «Est-ce qu’il avait été pris en charge ? Pourquoi n’a-t-il pas été hospitalisé plus durablement après son premier passage à l’acte ? Pourquoi est-ce qu’on était dans un sas intermédiaire entre le passage devant la chambre de l’instruction ? Plus tôt est audiencé le passage devant la chambre de l’instruction, mieux c’est. Ça donne du sens, ça vient scander une temporalité.» Autant de points qui illustrent aussi la paupérisation de la psychiatrie en France. Le spécialiste juge ainsi que, «quand il y a des dysfonctionnements graves, les soignants sont les premières victimes de la perte d’efficience du système. Celui de la santé et des hôpitaux et de l’articulation santé-justice».
A l’automne, les psychiatres hospitaliers ont d’ailleurs manifesté contre le «délabrement» d’un secteur public victime d’un «abandon» de l’Etat, selon leurs syndicats. Un manque de moyens qui conduit d’ailleurs régulièrement la contrôleuse des lieux de privation de liberté, Dominique Simonnot, à pointer des «dysfonctionnements graves portant atteinte à la dignité des patients et à leurs droits fondamentaux». Lundi, quelques heures après le meurtre de l’infirmière, le ministre de la Santé, François Braun, s’était lui concentré sur le renforcement des mesures de sécurité, en annonçant réunir avant la fin de la semaine un comité pour «voir ce que l’on peut faire pour garantir encore plus de sécurité pour les soignants».
Des agressions à l'issue rarement mortelle
Si de nombreuses agressions sont survenues ces vingt dernières années contre des soignants en milieu hospitalier, celles à l’issue mortelle sont rares. Elles sont d’ailleurs souvent le fait de patients souffrant de troubles psychiatriques. Ainsi de cette infirmière et cette aide-soignante de l’hôpital psychiatrique de Pau (Pyrénées-Atlantiques), tuées en 2004 par Romain Dupuy, un jeune homme schizophrène. Deux ans auparavant, un infirmier de l’hôpital psychiatrique de Bron, dans le Rhône, est mortellement blessé au couteau par un jeune homme de 19 ans également soigné pour schizophrénie. Le 3 juillet 1999, une infirmière d’un établissement psychiatrique de Saint-Etienne (Loire) est blessée par un patient âgé de 22 ans, réputé dangereux. Elle succombe à ses blessures cinq jours plus tard.
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