par Eric Favereau publié le 25 avril 2023
publié le 25 avril 2023 à 6h26
On dirait une petite main à la Kafka qui aurait multiplié la pose de cailloux pour empêcher le demandeur d’arriver au bon endroit du Château… C’est en tout cas le sentiment que l’on a lorsque l’on s’attarde aux mille et une difficultés mises en place pour les étrangers en situation irrégulière afin qu’ils puissent, légalement, bénéficier de l’Aide médicale d’Etat (AME). Et c’est ce qui ressort d’un rapport publié la semaine dernière par une série d’associations sur l’accès à l’AME (1).
«Manque d’accessibilité»
L’Aide médicale d’Etat est un dispositif qui permet aux personnes étrangères en situation irrégulière de bénéficier d’une couverture santé. Coûtant autour d’un milliard d’euros, il permet à une population très fragile un accès minimum aux services de soins, sans reste à charge. Pour autant, beaucoup de personnes qui y auraient droit n’en bénéficient pas. Selon le rapport, seules 51 % des personnes éligibles sont effectivement couvertes par l’AME. Déjà, en 2019, le gouvernement avait complexifié son accès, notamment en introduisant un délai minimum de trois mois de présence en situation irrégulière sur le territoire.
Récemment encore, le 15 mars, un amendement proposant la suppression du dispositif a même été voté au Sénat. Et comme toujours, dans les propos tenus pour justifier leur vote, étaient mis en avant des abus des étrangers pour en bénéficier.
Or, pour les associations, le constat est tout autre. Il met en évidence une importante détérioration de l’accès à l’AME «à travers un cumul d’obstacles administratifs» rendant très difficile l’accès aux agences des CPAM (caisse primaire d’assurance maladie). En voici pèle mêle quelques-uns. D’abord, la dernière réforme de l’AME a rendu obligatoire le dépôt physique des premières demandes au guichet des caisses primaires d’assurance maladie (CPAM). Et c’est une loterie : «Chaque CPAM organise à sa manière l’accueil du public avec une marge d’autonomie, conduisant à une disparité d’accès aux droits très forte selon les départements.» De façon arbitraire, «la limitation des dépôts à certaines agences de la CPAM engendre des difficultés considérables en rallongeant et en complexifiant les trajets des usagers». Et encore : «Sans aucune directive en ce sens, la quasi-majorité des CPAM d’Ile-de-France imposent une prise de rendez-vous, par internet ou par téléphone, pour venir déposer son dossier, et dans certains départements pour venir retirer sa carte», poursuivent les enquêteurs. «Nous constatons de multiples obstacles à l’obtention d’informations fiables, avec un manque d’accessibilité et changements fréquents des informations concernant les lieux et les modalités de dépôt des demandes d’AME, avec une fermeture des guichets des CPAM, dans un contexte de dématérialisation des services publics, avec parfois même des informations erronées transmises par les agents de sécurité à l’entrée des agences CPAM».
«Obstruction manifeste»
Seul canal de prise de rendez-vous pour le dépôt d’une demande d’AME auprès de certains départements, appeler le 3646. Or, ce numéro est aujourd’hui «difficilement joignable». «Selon les résultats de notre testing, le taux de décroché est variable selon les départements. Plus d’un appel sur trois n’aboutit pas pour les CPAM de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne. Il est fréquent d’attendre entre vingt et quarante-cinq minutes selon les départements concernés pour espérer que l’appel soit effectivement décroché.» De plus, les réponses sont souvent confuses, avec «une insuffisance de renseignements fournis concernant les conditions légales d’ouverture de droits à l’AME. Par exemple, l’obligation de se présenter physiquement au guichet des CPAM pour déposer sa première demande n’est pas mentionnée lors d’un appel sur trois».
Autre blocage, les délais d’attente du rendez-vous afin de déposer un dossier : «Entre le 10 et le 16 janvier, il faut en moyenne dix jours pour obtenir un rendez-vous afin de déposer sa demande auprès de l’agence de Créteil (Val-de-Marne), et quinze jours pour celle de Sarcelles (Val-d’Oise), vingt jours pour celle d’Argenteuil (Val-d’Oise), et jusqu’à vingt-quatre jours pour celle de Cergy (Val-d’Oise). Dans nos pratiques quotidiennes d’accompagnement, nous constatons des variabilités encore plus fortes dans la disponibilité de rendez-vous : de quelques jours jusqu’à deux mois et demi», note le rapport. Quant aux refus, ils sont légion. «Le premier motif de refus est le dossier incomplet (plus d’une personne sur trois), à mettre en lien avec la difficulté à obtenir des informations de qualité pour constituer son dossier». Le deuxième motif est plus impressionnant. «Il provient d’un refus d’entrer dans l’agence opposé par le vigile à l’entrée (près d’une personne sur cinq), ce qui constitue une obstruction particulièrement manifeste d’accès à un service public. Durant notre enquête, nous avons par ailleurs été témoins à plusieurs reprises d’altercations entre le vigile et les personnes qui se présentent à l’agence… En Seine-Saint-Denis, plus d’une personne sur deux n’a pas réussi à déposer son dossier. Et plus d’une personne sur trois dont la carte était prête n’a pas réussi à la retirer auprès de l’agence».
Finalement, c’est comme dans le Château de Kafka, le demandeur se retrouve à la porte. «L’Assurance maladie propose un accueil totalement inadapté et entrave, de fait, l’accès à un droit fondamental pour les personnes étrangères sans titre de séjour, alors que des solutions simples existent !» a pu dès lors affirmer Fanélie Carrey-Conte, secrétaire générale de la Cimade. «Si l’on ne sait pas lire et écrire le français, qu’on ne dispose pas de connexion internet ou de forfait téléphonique pour appeler le 3646, se soigner devient une mission impossible», a pour sa part déploré Florence Rigal, présidente de Médecins du Monde.
Mais c’est, peut-être le but recherché… Et cela fait écho à des propos récents que nous a tenus la Défenseure des droits : elle nous a raconté avoir, parfois, le sentiment que les pouvoirs publics créaient de toutes pièces des obstacles pour empêcher l’effectivité de certains droits.
(1) Enquête réalisée par un testing téléphonique du 3646, mais aussi avec quarante enquêteurs bénévoles.
(2) La Cimade, Comede, Dom’Asile, Médecins du Monde et le Secours Catholique.
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