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vendredi 5 août 2022

La molécule qui trie les bons et les mauvais souvenirs

Par   Publié le 4 août 2022

Une équipe américaine a mis en évidence le rôle de la neurotensine pour construire la mémoire, ouvrant de possibles pistes thérapeutiques.

Expression de divers gènes et protéines (blanc, rouge et vert) dans les neurones parmi les cellules du cerveau de la souris (bleu).

Le parfum de la rose ou le piquant de ses épines, la beauté d’un quatuor de Schubert ou l’alarme stridente de votre voiture, la douceur d’un premier baiser ou la douleur d’une première brûlure : notre cerveau trie chaque jour bons et mauvais souvenirs. Mais comment ce tri essentiel se produit-il ? Qui l’orchestre, et par quel moyen ? Une étude publiée le 20 juillet dans la revue Nature vient de lever un pan du rideau qui couvrait ce mystère, obstacle essentiel à la compréhension de nos émotions.

En 2015, l’équipe de Kay Tye, au Salk Institute de La Jolla (Californie), avait déjà découvert que ces perceptions contradictoires suivaient deux chemins neuronaux distincts à l’intérieur de l’amygdale, ce petit noyau du cerveau fondamental dans le traitement et la mémorisation de nos émotions. La neurobiologiste et ses collaborateurs avaient montré comment l’audition d’un son, préalablement associé à une récompense alimentaire, provoquait des impulsions électriques sur un des chemins, alors que la note associée à une petite décharge de courant mobilisait l’autre piste nerveuse. « Nous avions mis en évidence ces deux itinéraires, analogues à deux voies de chemin de fer empruntées par les expériences positives et négatives, mais il nous manquait le commutateur, le signal qui indiquait les bons rails à prendre », explique la neurobiologiste.

Aiguilleur en chef

L’article publié dans Nature fournit l’identité de l’aiguilleur en chef : une molécule nommée « neurotensine ». Ce peptide, petit assemblage d’acides aminés, les chercheurs du Salk Institute en avaient déjà trouvé la trace en suivant les gènes impliqués dans les deux groupes de « rails ». Ceux de la voie positive semblaient notamment coder un récepteur de la neurotensine, déjà repérée comme un des nombreux régulateurs de l’activité neuronale. Et si le figurant jouait un premier rôle ?

L’équipe a d’abord mis au point un détecteur spécifique du fameux peptide chez des souris. « Nous nous sommes aperçus que la concentration de neurotensine dans l’amygdale était augmentée par la récompense et diminuée par la punition », raconte Hao Li, premier auteur de l’article, en postdoctorat au Salk Institute pendant cette étude et qui ouvre en septembre son propre laboratoire à l’université Northwestern de Chicago. Un indice important. Mais pas encore une preuve.

Pour cela, les chercheurs de La Jolla ont « artificiellement manipulé » cette concentration en utilisant deux techniques de pointe, développées au cours de la dernière décennie. Ils ont d’abord employé le système Crisprpour rendre inactifs les gènes produisant la neurotensine dans le thalamus, en amont de l’amygdale. Privées du neuropeptide, les souris se sont montrées presque incapables de mémoriser le son associé à un biscuit sucré. A l’inverse, l’apprentissage du signal menaçant s’en est trouvé accéléré.

« Cet article ouvre une voie vers de nouveaux traitements des troubles de l’humeur, des comportements compulsifs et des addictions »Pierre-Marie Lledo, Institut Pasteur

Pour parfaire la démonstration, l’expérience opposée était nécessaire, à savoir ajouter de la neurotensine. Cette fois, les neurobiologistes ont eu recours à l’optogénétique, qui permet de stimuler des neurones préalablement grâce à des signaux lumineux ultraprécis. Et victoire ! Les souris ont bondi comme des fusées au signal de récompense et ont paru bien peu concernées par l’alerte sonore du danger.

Pour Pierre-Marie Lledo, chef de l’unité Perception et mémoire de l’Institut Pasteur, il s’agit là d’un « article majeur ». « D’abord il offre une meilleure compréhension des mécanismes qui concourent à la santé mentale, un des parents pauvres de la médecine. Il ouvre donc une voie vers de nouveaux traitements des troubles de l’humeur – anxiété, dépression, syndrome post-traumatique, mais aussi des comportements compulsifs, des addictions. » Compte tenu de la fréquence de ces pathologies, on mesure la portée potentielle de la découverte.

Pour cela, il faudra évidemment confirmer chez les humains les résultats établis sur les rongeurs. Pierre-Marie Lledo éprouve peu de doutes. L’amygdale est une des régions du cerveau les plus profondément ancrées dans l’histoire animale. « En matière d’émotion, la souris est un excellent modèle, car la fonction a été maintenue au cours de l’évolution », explique-t-ilCe constat ne vaut pas passeport vers la thérapie, loin de là. « Le principal obstacle sera la délivrance précise de la neurotensine vers les bons neurones, souligne Hao Li. Mais, avec la nouvelle génération de thérapie génique, ça me paraît envisageable dans un avenir très proche. »

Gestion des émotions

Pour Pierre-Marie Lledo, la portée de la découverte de l’équipe américaine pourrait s’avérer plus grande encore au niveau biologique. Connue jusqu’ici pour doper la motricité intestinale en cas d’ingestion importante de lipides, la neurotensine s’avère centrale dans la gestion des émotions. « Cela témoigne de manière éclatante de l’unité du vivant, et comment les mêmes briques peuvent agir à la périphérie et dans le cerveau », se réjouit-il.

Tout aussi essentiel, cette recherche rebat les cartes quant au rôle des divers neuropeptides et neurotransmetteurs qui tempêtent sous nos crânes. Pour le chercheur français, « il est possible que la neurotensine joue un rôle plus important encore que la dopamine », un des principaux acteurs du foisonnant théâtre de nos émotions. Rien que ça ! Il s’explique : « Avec la dopamine, on avait un accélérateur de communication au sein du cerveau. Il est bien possible que la neurotensine joue tout à la fois le rôle d’accélérateur et de frein, suivant sa concentration. » Et le chercheur de pronostiquer, admiratif : « Cet article, on va en parler longtemps. »


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