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mardi 2 août 2022

Hôpital Crise des urgences : «Si seulement le Samu avait les moyens de prendre en charge tous les appels dans de bonnes conditions…»

par Violette Vauloup   publié le 29 juillet 2022

Le gouvernement demande aux Français de contacter le 15 avant d’aller à l’hôpital, pour y éviter les passages inutiles. Mais la pénurie de personnel au standard ralentit la prise en charge des appels et le secteur alerte sur un risque pour les patients.

Le gouvernement continue de chercher une porte de sortie à la crise des urgences. Entre le manque de bras, des personnels épuisés par deux ans de Covid-19 et des déserts médicaux qui s’étendent, l’offre de soins en France n’est pas au meilleur de sa forme. Alors, pour diminuer la pression qui pèse sur les urgences, le gouvernement demande aux Français d’appeler le 15 avant de se rendre à l’hôpital. Une idée pas du tout dépourvue de sens pour Pierre Wach, secrétaire général de la CGT des Hôpitaux universitaires de Strasbourg… «si seulement les centres 15 avaient les moyens de prendre en charge tous les appels dans de bonnes conditions».

Le 1er juillet, la mission flash sur les urgences et les soins non programmés, pilotée par François Braun lorsqu’il était président de Samu-Urgences de France et pas encore ministre de la Santé, a esquissé des pistes pour venir à bout d’une «crise [qui] atteint des proportions [pouvant] mettre en danger dès cet été la permanence et la continuité des soins». L’idée est donc de modérer la pression sur le système de santé induite par des passages dispensables aux urgences, en incitant les Français à passer par un intermédiaire : le Samu.

Un report de la surcharge

Selon les départements, «on constate entre 10 et 30% d’appels en plus depuis début juillet par rapport aux trois derniers mois», estime Yann Rouet, coprésident de l’Association française des assistants de régulation médicale (Afarm). Un chiffre confirmé par l’assistance publique des hôpitaux de Marseille : le Samu y a enregistré une hausse de 20% des appels cet été. «Nous avons neuf personnes pour répondre à 3 000 appels chaque jour. Les autres étés, c’était plutôt autour de 2 000», assure la docteure Anne Champenois, qui supervise la gestion du Samu des Bouches-du-Rhône cet été. En visite, jeudi, au centre 15 de Saint-Etienne, le ministre de la Santé, François Braun, s’est pourtant félicité : «C’est un centre qui fonctionne, on sent que c’est une expérimentation, c’est vraiment bien», a-t-il déclaré, alors qu’il manque au moins quinze assistants de régulation médicale dans ce centre, rapporte France Bleu. Contacté à plusieurs reprises par Libération, le locataire de l’avenue de Ségur n’a pas donné suite à nos demandes.

La hausse du nombre d’appels s’accompagne également d’un changement de nature des demandes. «La majorité de nos sollicitations, ce sont des gens qui ont mal au pied et n’ont pas vu de médecin ou qui cherchent un dentiste parce qu’ils ont une rage de dents», illustre Lucas (1), assistant de régulation médicale (ARM) dans un centre du sud de la France. Les ARM sont les premiers interlocuteurs de celles et ceux qui appellent le 15. En plus de répondre au standard, ils guident les gestes de premiers secours, engagent des équipes sur place ou transfèrent l’appel à un médecin de permanence au Samu si besoin.

Pour Lucas, la consigne d’appeler le 15 est un simple report de la surcharge de travail des urgences sur ces personnels, qui travaillent déjà en sous-effectif. D’après l’Afarm, il manque aujourd’hui 800 ARM en France, sur les 2 500 que compte la profession et qui répondent déjà à 38 millions d’appels par an. La mission flash pilotée par François Braun insistait d’ailleurs sur la nécessité de «recruter rapidement des ARM». Mais le métier, peu connu, n’attire guère. «Il faudrait travailler sur la valorisation du statut. On est considérés comme du personnel administratif de la fonction publique hospitalière et pas comme des soignants, alors que nous sommes le premier maillon de la chaîne de soins en France», regrette Yann Rouet, de l’Afarm.

Depuis la mort de Noémie Musenga, en 2017, à Strasbourg, liée à de graves manquements du Samu local, la formation des ARM a été renforcée. Les nouveaux agents doivent suivre une formation d’un an dans l’un des onze centres spécialisés de France. Mais chaque année, les 400 places ne sont pas toutes occupées, assure Yann Rouet, qui donne parfois des cours au centre de formation de Vannes, en Bretagne. 

«Ce sont des êtres humains, pas des machines»

«Dans son référentiel, la Société française de médecine d’urgence recommande de prendre 7,2 appels par ARM et par heure. Là où je travaille, on oscille plutôt entre 15 et 20, parfois plus», assure Lucas. Alors, de temps en temps, le travail est «bâclé». Rien qui ne mette vraiment la vie des gens en danger, selon lui, mais «il faut aller vite donc on prend un peu moins d’infos, c’est pas toujours bien fait dans les règles».

Les assistants de régulation médicale reçoivent comme consigne de viser les 99% d’appels décrochés en moins de trente secondes. «On est loin du compte, poursuit Lucas. En ce moment, on est plutôt autour de 60 ou 70%. Parfois, des gens attendent dix minutes.» Or, dans certaines situations, chaque seconde compte. Et le ralentissement du délai de prise en charge du côté du Samu induit une perte de chance pour les patients. «Imaginez un arrêt cardiaque : chaque minute sans massage représente 10% de chances de survie en moins», calcule Lucas.

Et même quand l’appel est décroché, la pression qui s’accumule sur les épaules des ARM n’est pas anodine. «Si le volume d’appels augmente mais que l’effectif reste le même, le risque de faire une erreur est plus grand. C’est mathématique. Ce sont des êtres humains, pas des machines», souligne Pierre Wach, de la CGT. Le stress de ne pas décrocher à temps un appel urgent et la mauvaise humeur des patients qui attendent trop longtemps sont autant de facteurs d’épuisement professionnel. «On a déjà beaucoup de burn-out et de gens qui quittent le métier. Les ARM sont épuisés et la mission flash pourrait être la goutte d’eau qui fait déborder le vase si on n’ajuste pas très rapidement les moyens à la hauteur de la mission», alerte Yann Rouet.

(1) Le prénom a été modifié


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