Par Philippe Mesmer
L’Archipel reste, avec les Etats-Unis, le seul pays développé à appliquer cette sanction. Les exécutions sont menées dans une relative indifférence qui permet de maintenir le système dans une certaine opacité.
Au Japon, le menottage dans le dos est réservé aux condamnés à mort, le jour de leur exécution. Parfois, ils se débattent violemment et se déboîtent une épaule. L’exécution est-elle alors reportée ? « Non, elle est appliquée », explique un certain « M » dans « Les Secrets de la peine de mort révélés par un gardien » (Takeshobo, 2021, non traduit), manga d’Ichinose Hachi, réalisé sur la base de témoignages anonymes d’anciens employés, comme « M », du système pénitentiaire nippon. Un récit glaçant que le tabloïd Gendai a choisi de publier en ligne, mercredi 26 juillet, comme une invitation à réfléchir à la peine capitale, une démarche rare dans un Etat qui reste, avec les Etats-Unis, le seul pays développé à appliquer cette sanction.
La veille, Tomohiro Kato avait été pendu au centre de détention de Kosuge, à Tokyo. Il avait été condamné à mort pour avoir précipité, en 2008, un camion sur la foule, dans le quartier d’Akihabara, à Tokyo, avant de poignarder plusieurs personnes. L’attaque avait fait sept morts et une dizaine de blessés. En 2015, la Cour suprême avait définitivement confirmé la sentence, estimant que la gravité du crime ne laissait aucune place à la clémence. La pendaison de M. Kato était la quatrième en un peu plus de six mois. En décembre 2021, trois détenus avaient été exécutés.
Ces exécutions sont menées dans une relative indifférence qui permet de maintenir le système dans une certaine opacité. Confinés dans un des sept centres de détention spéciaux du pays, les condamnés croupissent dans des cellules individuelles de 6 mètres carrés, sous l’œil d’une caméra activée en permanence. La journée, ils doivent rester assis. La lumière reste allumée la nuit pour empêcher les suicides. L’isolement affecte parfois leur raison. Il y aurait des mauvais traitements.
Pendaison
Seuls les membres de leur famille ou leur avocat peuvent leur rendre visite. La loi prévoit une exécution dans les six mois suivant le verdict, mais elle est rarement appliquée. En 2021, rappelle le centre japonais d’information sur l’innocence et la peine de mort, deux des 118 condamnés à mort étaient incarcérés depuis plus de quarante ans.
La date de l’exécution, décidée par le ministre de la justice, est inconnue. Les condamnés ne l’apprennent que quelques heures avant. « Chaque fois que les gardiens venaient chercher un condamné, je tremblais. Je m’effondrais quand je découvrais que ce n’était pas mon tour. Je pleure encore quand je me souviens de ces moments », expliquait Sakae Menda (1925-2020), premier Japonais à avoir été libéré après trente-quatre ans dans le couloir de la mort.
La sentence se fait par pendaison, en vertu d’un décret de 1878. La famille n’est prévenue qu’après la mort. Malgré cela, rares sont les débats sur la peine capitale au Japon. A la fin du XIXe siècle, des gardiens de prison y voyaient une contradiction avec leur mission de réinsertion des prisonniers. Puis, au XXe siècle, des moratoires ont été imposés, entre 1989 et 1993 notamment. La question des condamnés sur la base d’aveux extorqués – comme c’est le cas pour M. Menda – suscite parfois des interrogations. Des ministres de la justice ont refusé de signer des ordres d’exécution. Seiken Sugiura, en poste en 2005-2006, l’a fait en invoquant ses convictions bouddhistes.
Mécontentement international
Il y a aussi des condamnations internationales, comme celle de 2013, de la part du Comité de l’ONU contre la torture. A chaque exécution, l’Union européenne rappelle, avec la Suisse, l’Islande et la Norvège, son opposition à la peine capitale, « quelles que soient les circonstances ». En 2021, deux condamnés à mort japonais ont déposé une plainte contre le principe d’annoncer l’exécution au dernier moment, une pratique « inhumaine » et contraire à la Constitution.
Et l’exécution de M. Kato a fait réagir Motoji Kobayashi, le président de la fédération japonaise des barreaux : « Nous condamnons fermement l’exécution d’aujourd’hui et appelons de nouveau à des mesures législatives urgentes pour abolir la peine de mort et à un moratoire sur toutes les exécutions. » Mais le puissant ministère de la justice – qui peut compter sur un gouvernement conservateur et sur des télévisions profitant des faits divers pour alimenter le principe de la peine de mort comme vengeance pour la perte d’un être cher – campe sur ses positions, qu’il défend en s’appuyant sur des sondages pourtant biaisés.
L’enquête de 2019 du gouvernement révélait que 81 % de la population était favorable à la peine de mort lorsqu’on lui demandait si la sanction était « inévitable dans certains cas ». Or, selon une étude menée par Mai Sato, professeure à l’université Monash (Australie), si la question devient : « Etes-vous d’accord avec la peine de mort si le Japon introduit l’emprisonnement à vie sans libération conditionnelle ? », seuls 38 % des sondés répondent oui.
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