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samedi 6 août 2022

A bout de souffle Les stages, grande désillusion des étudiants infirmiers

par Estelle Aubin  publié le 5 août 2022 

L’hôpital manque cruellement de personnel et la situation pourrait s’aggraver. Désenchantés par des formations professionnelles éprouvantes, de plus en plus d’élèves en soins infirmiers arrêtent leurs études. 

«Le matin, j’allais à mon stage à reculons, la boule au ventre. Et le soir, j’appelais ma mère en larmes. C’était tous les jours la même chose. Quand je portais la blouse, j’avais peur de mal faire et peur de ne pas être à la hauteur des exigences de mes infirmières formatrices.» Trois ans après, Noa a la voix qui tremble encore quand elle raconte cette époque de sa vie étudiante. A 20 ans et en deuxième année dans un Institut de formation en soins infirmiers (Ifsi) du nord de la France, Noa venait alors de commencer un stage obligatoire en chimiothérapie.

«C’était l’enfer, assure la jeune femme. Dès la première journée de stage, j’ai vu que les trois autres infirmières de mon service étaient déçues parce que je ne connaissais pas tous les gestes techniques.»Très vite, elle sent que ses collègues la «prennent en grippe»,soupirent quand elle pose une question, lui lancent des «tu me désespères», la mettent de côté ou parlent d’elle dans son dos. Pendant ses sept semaines de stage, Noa ne mange plus, ou très peu. Elle raconte qu’elle avait régulièrement des trous de mémoire, qu’elle s’est sentie «détruite». Alors que c’est son rêve, elle commence à se dire qu’elle ne pourra pas devenir infirmière. Quelques mois plus tard, après des jours éprouvants pendant un nouveau stage, elle renonce, abandonnant la formation pour s’inscrire en études de criminologie au Canada.

Un étudiant sur six a déjà pensé au suicide

En octobre, le ministre de la Santé de l’époque, Olivier Véran, avait chiffré à 1 300 – sur environ 30 000 nouveaux chaque année – le nombre d’étudiants infirmiers qui avaient abandonné leurs études en cours de route, entre 2018 et 2021. Un chiffre qui pourrait, en réalité, être bien plus conséquent. Selon une enquête de la Fédération nationale des étudiants en sciences infirmières (Fnesi), publiée en mai, près de 60% des étudiants interrogés ont déjà pensé arrêter leur formation. Et, selon le Comité des instituts de formation du paramédical, 13% ont jeté l’éponge après la dernière rentrée. Soit plus du double de l’estimation du ministre de la Santé.

Autre constat alarmant, le mal-être des étudiants infirmiers se fait de plus en plus ressentir. L’étude de la Fnesi fait ressortir que 61% d’entre eux déclarent que leur santé mentale s’est dégradée depuis le début de leur formation – contre 52% en 2017. Plus grave encore, un étudiant sur six aurait «déjà pensé au suicide durant ses études».

Pour de nombreux aspirants infirmiers, les stages obligatoires sont «stressants», «maltraitants» ou «décourageants». «C’est connu, dès la rentrée, les professeurs nous avaient dit : “Vous aurez au moins un stage qui se passera mal”», raconte Cassandre, 25 ans, étudiante à l’Ifsi du lycée Rabelais, à Paris, qui a tenu bon avant d’être diplômée en 2017.

«Le stage ingrat, c’est devenu la norme»

Mais ces stages sont un passage obligé des trois ans de formation, représentant plus de la moitié du temps d’étude depuis l’introduction du nouveau diplôme en soins infirmiers en 2009. Pour certains professionnels de santé et anciens étudiants, ils seraient l’une des causes principales de la désertion des futurs infirmiers à l’hôpital.

L’étude de la Fnesi n’étonne guère Isabelle Bouyssou, directrice de l’Institut de formation paramédicales du groupe Hospitalier Paris Saint-Joseph, dépendant du ministère de la Santé. Pour cette ancienne infirmière, la maltraitance en stage «s’est banalisée». «À cause de l’altération des conditions de travail dans les établissements de soins, le stage ingrat, c’est devenu la norme, déplore-t-elle. Des tuteurs de stage méprisent ouvertement les étudiants sur le terrain. Les remarques sexistes, racistes ou dégradantes, du genre “tu n’y arriveras jamais”, sont monnaie courante. Et dégoûtent certains étudiants du métier.»

Si la licence en soins infirmiers est l’une des plus plébiscitées sur Parcoursup, Isabelle Bouyssou retrouve les chiffres nationaux dans les statistiques de son établissement : environ 12% des étudiants infirmiers lâchent l’affaire en cours de route à Saint-Joseph, mettent leurs études sur pause, ou se reconvertissent après l’obtention de leur diplôme. «Pour la première fois» cette année, deux étudiantes, sur une promotion de 120 élèves, ont abandonné leurs études à la fin de la deuxième année.

«Prends sur toi»

«Les stages sont un choc, reconnaît volontiers Constance, étudiante de 21 ans en dernière année à l’Ifsi parisien de Saint-Joseph. On a à peine 18 ans et on doit faire face à la mort, à la vieillesse, à la maladie. On n’est pas préparés à voir cela. Ni à faire face aux mains baladeuses de certains patients psychologiquement atteints. Soit on surmonte le choc et on poursuit ses études, soit on arrête.» Si elle fait le calcul, la moitié de ses huit stages se sont mal passésLa faute, souvent, à des collègues peu pédagogues, déjà sous tension, en sous-effectif, qui n’ont pas eu le temps ni l’envie de l’encadrer.

Fanny, tout juste diplômée d’un Ifsi en Bretagne, raconte qu’elle n’a jamais été aussi triste que pendant ses stages. Souvent, elle s’est «sentie de trop», critiquée en permanence par ses supérieurs «trop exigeants». «Je devais parfois me débrouiller toute seule pour faire des gestes techniques, alors que je n’en avais jamais fait à l’école.» Souvent, elle se demande si elle veut réellement devenir infirmière, et finit par espérer des jours meilleurs dans un autre service médical, où il y aurait «plus de relationnel».

Toutes les jeunes femmes interrogées par Libération confient avoir eu des difficultés à parler à leurs deux référents de stage, celui de l’école et celui du stage. Principalement par peur d’être mal vues et«que le climat au travail devienne encore plus hostile», dit Noa. Quand l’étudiante ose enfin évoquer son «manque de confiance» et le mépris de ses consœurs pendant la visite d’encadrement de stage obligatoire, sa tutrice de l’école lui rétorque : «C’est à toi de faire plus d’efforts, prends sur toi.» Elle s’effondre en larmes. Pour Fanny, «le bien-être des étudiants n’est clairement pas la priorité» de son école, qui continue, selon elle, d’envoyer des élèves dans des services qualifiés de «maltraitants» par les étudiants.

Accompagner les étudiants

Face au phénomène qui provoque une crise des vocations et menace les futurs effectifs médicaux, les Ifsi et les hôpitaux essaient d’améliorer la détection de situations de maltraitance. Depuis 2009, une formation de tuteur de stage de quatre jours est dispensée pour les infirmiers volontaires. Deux bilans, à la moitié et à la fin du stage, sont réalisés. Une visite de stage, effectuée par un membre de l’école, est devenue obligatoire.

Certains établissements de santé ont aussi créé un statut nouveau, celui de «coordinateur pédagogique de stage», pour mieux accompagner les étudiants. À l’Ifsi Saint-Joseph, Isabelle Bouyssou mise sur l’écoute des étudiants en souffrance et sur la préparation en amont des stages, organisant des sessions spécifiques pour«mieux appréhender la réalité du milieu».

Mais pour William Perel, infirmier de 32 ans dans un hôpital parisien, qui a récemment suivi la formation de tuteur de stage, la réponse des Ifsi n’est pas à la hauteur. Pour lui, il est urgent d’améliorer la communication entre l’école et l’hôpital : «De nombreux ifsi nous rappellent l’arrivée d’un étudiant dans notre service seulement la veille du début du stage. Et les référents de l’école ne viennent que trop rarement à l’hôpital, alors qu’une visite de stage est obligatoire.» Il conclut, amer : «Si on ne repense pas l’encadrement des stages, les étudiants partiront vers d’autres services, ou pire, quitteront définitivement l’hôpital.»


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