Par Pascale Santi Publié le 25 avril 2022
La plate-forme d’écoute téléphonique nationale, lancée en octobre 2021, reçoit de plus en plus d’appels, notamment de mineurs ou de leurs proches. Elle vise à apaiser la détresse et à leur apporter une réponse.
« Des voix me disent de me faire du mal », souffle par téléphone Maeva (les prénoms ont été changés) à Lisa, infirmière, ce matin d’avril. Casque vissé sur les oreilles, d’une voix douce, posée, Lisa lui demande comment se déroule l’école. La jeune fille de 12 ans se sent rejetée. C’est la mère de Maeva, inquiète pour sa fille, « très angoissée », qui a appelé.
Ce jour-là, dans le bureau d’un bâtiment du CHU de Lille, elles sont quatre écoutantes, pense-bête sur le bureau, à répondre quasi en continu aux appels du numéro national de prévention du suicide, le 3114, ouvert le 1er octobre 2021. Annoncée dans le cadre du Ségur de la santé, cette plate-forme d’écoute professionnelle des personnes suicidaires et de leurs proches est gratuite, accessible 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Son but : apaiser les personnes en détresse et leur apporter une réponse.
Il s’agit d’abord d’évaluer le danger. Maeva a fait plusieurs tentatives de suicide, dont une récemment, et a déjà été hospitalisée dans un service de pédopsychiatrie. Avec une grande bienveillance, Lisa lui demande ce qui lui procure ces angoisses, si elle a des idées suicidaires, si elle a des personnes à qui elle peut se confier. « Quand tu te fais du mal, c’est pour mourir ? », questionne-t-elle. A cet âge, la conscience de la mort est parfois floue. Lisa lui dit qu’elle peut appeler le 3114 à toute heure. Dans son cas, il faut réagir vite. Lisa conseille donc à la mère de Maeva de l’emmener voir au plus vite son pédopsychiatre ou de se rendre aux urgences dans l’hôpital le plus proche de Lille. Un compte rendu est systématiquement fait afin d’avoir accès au dossier de la personne si elle rappelle.
Plus de 400 appels par jour
« A chaque fois, on évalue la présence d’idées suicidaires, si elles sont scénarisées ou pas et l’accès à un moyen de passer à l’acte, s’il y a une prise de recul possible par la personne et la présence d’éléments protecteurs », souligne la psychiatre Marine Lardinois, qui supervise l’équipe. A Lille, l’un des douze centres répondants en France et l’un des trois ouverts 24 heures sur 24 avec Brest et Montpellier, environ un tiers des seize membres de l’équipe a déjà travaillé en psychiatrie. Un médecin, y compris la nuit, épaule les équipes des centres composées d’infirmières et de psychologues qui ont reçu une formation spécifique à l’évaluation du risque suicidaire. Les appels sont adressés dans le centre le plus proche. Le délai d’attente n’excède pas cinq minutes. D’autres centres à Besançon et Dijon devraient ouvrir courant mai, puis à Tours, Paris et Marseille d’ici à la fin de l’année.
Depuis le lancement de la plate-forme, les appels sont en hausse, on en dénombre plus de 400 par jour sur toute la France. Une augmentation des appels de 13 % a été constatée après le passage du chanteur Stromae au « 20 heures » de TF1, le 9 janvier, dans lequel il évoquait « des pensées suicidaires ». Il y a eu près de 13 400 consultations sur le seul mois de mars. « On a l’impression d’avoir plus d’appels de plus jeunes ou de leurs proches depuis récemment »,constate le psychiatre au CHU de Lille Charles-Edouard Notredame, qui coordonne la ligne d’écoute.
En janvier et février, une centaine de mineurs ou de proches ont appelé chaque mois à Lille. « Est-ce que cela augmente car on communique de plus en plus autour du 3114, notamment sur les réseaux sociaux, ou est-ce que les gens vont plus mal ? », questionne Nathalie Pauwels, chargée de développement du programme Papageno de prévention de la contagion suicidaire. En tout cas, le téléphone n’arrête quasiment pas de sonner.
« Lien de confiance »
La veille de notre venue, une infirmière scolaire a appelé pour Noé, âgé de 11 ans. « Je n’en peux plus », disait l’enfant qui s’est mutilé avec des ciseaux en classe devant les autres élèves. Noé est « hyper stressé ». L’écoutante lui demande : « Est-ce que tu penses à la mort ? » Il faut employer des mots simples sans tourner autour du pot. Les infirmières scolaires se disent souvent confrontées au mal-être des élèves, sans savoir quoi faire. Le 3114 est une nouvelle ressource. Le SAMU y a aussi régulièrement recours pour transférer des appels, les régulateurs n’ayant pas le temps de gérer.
Des copines ont également appelé pour une amie, se disant extrêmement inquiètes de la voir se scarifier. Elle leur aurait dit « vouloir en finir ». « Souvent, les ados ont peur de trahir leurs copains, d’en parler à leurs parents, on écoute, et on essaie de parler au jeune qui va mal », résume une psychologue de la ligne d’écoute. Chaque histoire est différente. C’est souvent de la dentelle. « Beaucoup d’étudiants nous appellent aussi. Nous cherchons à établir un lien de confiance et à parler avec l’adulte en qui l’ado a le plus confiance afin de créer une alliance », explique une infirmière.
Le danger est parfois imminent, comme pour cette jeune femme qui a récemment appelé du métro parisien avec des idées suicidaires. Il a fallu identifier où elle se trouvait, ne surtout pas perdre l’appel, la garder en ligne jusqu’à l’intervention des secours. Le pire a été évité. Si l’appel dure en moyenne vingt minutes, l’échange peut aller de cinq minutes à deux heures.
Cela peut être aussi un travail de détective à plusieurs. « Noémie à votre écoute… » Une dame l’informe que l’un de ses amis a acheté une arme le matin même, qu’il est en grande détresse, sans donner beaucoup d’informations. Noémie va tenter de l’appeler à plusieurs reprises, en vain. Après discussion avec Marine Lardinois, décision est prise d’envoyer les secours à son domicile, dont elles ont déniché l’adresse. « Certains nous rappellent en nous remerciant, car ils seraient passés à l’acte, sans nous… », se félicitent les écoutantes. L’ambiance est chaleureuse, le travail intense. « Certes, on est confrontés aux limites du système, aux services saturés, mais l’idée que le 3114 soit un interstice, un trait d’union, est rassurante », explique Marine Lardinois.
En fin de journée, les idées noires surgissent, les appels augmentent, le pic étant souvent entre 18 heures et minuit, voire plus tard encore. L’activité reste intense tout au long de la nuit.
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